Isolement et identification des bactéries anaérobies

Plan du chapitre

1 - Contextes cliniques

2 - Objectifs

3 - Méthodes de mise en évidence

4 - Sensibilité aux antibiotiques

Les bactéries anaérobies sont responsables d'une grande variété d'infections localisées ou généralisées.

Dans plus de 80 % des cas il s'agit d'une infection mixte, associant bactéries aérobies ou aéro-anaérobies

et anaérobies strictes.

La plupart de ces bactéries se développent lentement. Leur isolement et leur identification demandent un certain délai. Leur mise en évidence reste toujours délicate.

Un certain nombre d'indices permettent de suspecter présence :

* mauvaise odeur des échantillons, présence de gaz dans la lésion,

* localisation de la suppuration (abcès sous maxillaire ou cervical, pleurésie purulente, péritonite,

abcès de la sphère gynécologique).

Les échecs de culture sont fréquents, les principales causes en sont : mauvais prélèvements, mauvaises

conditions de transport, méthodes de culture inadaptées, malgré l'utilisation d'enceintes anaérobies

( jarre ou chambre).

1 - Contextes cliniques

Deux grands types d'infections :

Les infections à Clostridium sécréteurs de toxines. Ils sont généralement d'origine exogène. .

Ils survivent dans la nature grâce à leur spore.

On distingue :

- les toxi-infections (Clostridium tetani, Clostridium perfringens, Clostridium difficile). Le germe

pénètre dans l'organisme à l'occasion d'une blessure (Clostridium tetani), il se développe localement,

sécrète sa toxine qui provoque la maladie (tétanos).

C. perfringens responsable des gangrènes gazeuses (myonécroses, cellulites, fasciites), pénètre à l'occasion

de blessures mais peut être d'origine endogène secondaire à des lésions de la paroi digestive.

Clostridium difficile pénètre dans l'organisme par voie digestive mais dans des conditions normales

il ne peut se développer dans le tube digestif.

La destruction d'une flore de barrière par une antibiothérapie permettra sa multiplication et la sécrétion des toxines.

- les intoxinations (Clostridium botulinum).

C'est l'ingestion de la toxine préformée qui est responsable de la maladie.

* Les infections mixtes : elles se développent au voisinage des muqueuses. Les anaérobies strictes

sont associées à d'autres bactéries, elles peuvent se compliquer de métastases infectieuses à distance.

2 - Objectifs

* Isolement et identification des bactéries anaérobies strictes :

- La recherche des anaérobies ne se pratique ni pour les intoxications ni pour les toxi-infections

d'origine exogène. Le diagnostic est essentiellement clinique.

- L'origine des infections à anaérobies est essentiellement endogène, la composition de ces flores

est importante à considérer car de sa connaissance dépende la nature des espèces isolées dans

leur voisinage (tableau 1).

* Les bactéries anaérobies sont surtout recherchées dans les prélèvements suivants :

- hémocultures,

- liquides de ponction (pleurale, péricardique, articulaire),

- abcès du poumon : dans la mesure où le prélèvement a été réalis‚ grâce à une technique

protégeant le prélèvement de la contamination bucco-dentaire),

- ostéite,

- abcès du cerveau,

- péritonite,

- abcès abdominaux ou gynécologiques.

Les anaérobies ne doivent pas être recherchés dans un prélèvement hébergeant habituellement une flore

commensale : crachats, selles, prélèvements vaginaux.

La recherche de C. difficile lors d'une diarrhée au décours d'un traitement antibiotique est un cas particulier.

 

Tableau 1 : les anaérobies de la flore endogène (d'après SM Finegold)

Peau

Propionobactérium acnes +++

Peptostreptococcus spp

 

Flore buccale

Prevotella pigmentées

Porphyromonas spp

Prevotella groupe oralis

Fusobacterium nucleatum

Peptostreptococcus spp

Eubacterium spp

Actinomyces spp

Flore vaginale

Lactobacillus +++

Prevotella bivia, P. disiens

PrevoteIla pigmentées

Peptostreptococcus

Flore colique

Bacteroides groupe fragilis +++

Bilophila wadsworthia

Leptostreptococcus spp

Clostildium spp

Bifidobacterium spp

Eubacterium spp

+++ germe dominant

3 - Méthodes de rnise en évidence des anaérobies

1- Prélèvement et transport

L'une des principales causes d'échec d'isolement des bactéries anaérobies est la mauvaise qualité du

prélèvement et/ou du transport.

La recherche de ces bactéries peut se faire soit sur un prélèvement aspiré : seringue ou pipette (les pipettes en plastique ont des propriétés oxydantes qui les rendent toxiques pour les bactéries anaérobies), soit sur un écouvillon (écouvillon d'alginate ou en dacron), il doit être obligatoirement placé dans un milieu de transport. Le mieux est d'utiliser une seringue purgée d'air.

Les prélèvements à la seringue ou à la pipette ont deux avantages par rapport aux prélèvements sur écouvillon :

* ils permettent de prélever le pus au niveau du foyer infecté, en évitant la contamination par les flores du voisinage, ce qui est plus délicat avec un écouvillon,

* ils évitent la dessiccation ou la rétention de bactéries dans l'écouvillon, et l'exposition à l'oxygène.

* ils permettent de noter les caractères organoleptiques.

En pratique cependant, l'écouvillon demeure un moyen de prélèvement utilisé.

 

Après prélèvement, il faut veiller à :

* empêcher la dessiccation du produit pathologique,

* protéger les bactéries de l'oxygène de l'air.

Le milieu de transport idéal doit préserver la multiplication ultérieure des anaérobies, mais aussi des aérobies.

Il doit contenir des substances réductrices.

La plupart des milieux de transport commercialisé ont pour base le milieu de Stuart. Les meilleurs milieux sont gélosés : Portagerm (bioMérieux), TGV anaérobie (Sanofi-Pasteur), Port A Cul (Becton Dickinson).

2 - Méthodes d'orientation rapide

L'isolement et l'identification demandent un délai de quelques jours à quelques semaines.

Il importe de signaler rapidement la présence des anaérobies dans un prélèvement.

* L'aspect du pus est souvent très évocateur : pus abondant d'odeur nauséabonde.

* L'examen du frottis après coloration par la méthode de Gram.

* La flore bactérienne est abondante et polymorphe associant des bacilles et des cocci à Gram positif et négatif.

Trois aspects peuvent se rencontrer :

- le pus est très évocateur avec une flore polymorphe typique (60 % des suppurations),

- la flore peu abondante mais associant plusieurs catégories de bactéries (20 à 30 % des

suppurations),

- l'examen direct non évocateur, les cultures sont monomicrobiennes (10 à 15 % des cas).

* On peut utiliser des méthodes immuno-enzymatiques pour Clostridium difjicile pour mettre en

évidence les toxines dans les selles.

* La localisation de la suppuration permet de préjuger des anaérobies que l'on peut isoler (tableau 2).

 

3 - Mise en culture

* Les milieux

L'isolement nécessite des milieux gélosés, contenant de nombreux facteurs de croissance et

rendus sélectifs grâce à l'addition d'antibiotiques.

Il est important de toujours utiliser des milieux désoxygénés (régénérés), fraîchement préparés et conservés en anaérobiose avant leur utilisation.

Différents milieux ont été proposés, ils peuvent être limités :

* Milieu gélosé pour les bacilles à Gram négatif (exemple Schaedler au sang avec vancomycine (7,5 mg/1)

et néomycine (75 mg/1)).

Ce milieu permet l'isolement des Bacteroides du groupe fragilis, des Prevotella, des Fusobacterium.

* Gélose Columbia au sang et au phényléthyl-alcool (4,2 g/100 ml) spécifique des bactéries à gram

positif et des Phorphyromonas.

* Pour les Clostridium : TSN, gélose au jaune d'oeuf et néomycine, Columbia au sang avec

cyclosérine et cefoxitine pour C. difficile.

Certaines bactéries peuvent avoir des difficultés à se développer sur une gélose au sortir de l'organisme.

Il faut toujours associer un bouillon anaérobie à un milieux gélosé. Ce bouillon est repiqué après 48 à

72 heures sur des géloses sélectives.

* Les conditions d'anaérobiose

Il existe actuellement des sachets permettant de faire l'anaérobiose en moins d'une demi heure

sans catalyseur.

Elle est réalisée dans des jarres ou des sacs en plastique fermés hermétiquement.

Les chambres anaérobies sont très utiles, mais pas indispensables pour l'isolement des anaérobies,

elles nécessitent une surveillance constante.

L'alternative peut être réalisée par un système permettant de faire le vide dans une jarre et d'injecter

un mélange gazeux.

Il est nécessaire de bien vérifier l'anaérobiose réalisée à l'aide d'un indicateur d'oxydo-réduction 3

(bande de papier buvard imprégné de bleu de méthylène ou de résazurine).

Tableau 2 : Répartition des anaérobies dans les suppurations mixtes

  Suppurations
abdominales
Pus gynécologiques Pneumonie
de déglutition
Abcès du poumon
Pleurésie purulente
Tête
et cou
Tissus
mous
Bacteroides fragilis +++ (+) / + (+) +
B. du groupe fragilis ++ (+) (+) + (+) +
Prevotella bivia / +++ / 0 0  
Prevotella oralis / + +++ +++ ++ +
Porphyromonas spp / + (+) (+) + ++
Fusobacterium nucleatum / + ++ +++ ++ /
Fusobacterium necrophorum / / / / ++ /
Peptostreptococcus spp + ++ ++ ++ ++ ++
Actinomyces spp / ++ + ++ ++ (+)
Clostridium perfringens ++ / + / 0 +

+++ : espèce présente dans la majorité des prélèvements

+ à ++ : présence dans 20 à 80 % des prélèvements

(+) : espèces isolées dans 10 à 20 % des prélèvements

 

 

4 - Identification

L'identification s'effectue en deux temps :

- Identification présomptive

Elle utilise des méthodes simples accessibles par tous les laboratoires :

* étude de la mobilité entre lame et lamelle en contraste de phase,

* coloration de Gram,

* recherche d'une oxydase et d'une catalase,

* croissance en présence d'antibiotiques (kanamycine, colistine, vancomycine)

ou d'inhibiteurs (bile, vert brillant),

* étude de la fermentation des sucres, de la production d'indole et d'une g‚latinase

à l'aide d'une galerie miniaturisée,

* étude des caractères enzymatiques grâce à une galerie d'identification rapide.

Les bactéries les plus fréquentes sont identifiées par ces méthodes simples à mettre en oeuvre : Bacteroides fragilis, Bacteroides ureolyticus, Prevotella melaninogenica, Prevotella hivia,

Fusobacterium nucleatum, F. necrophorum, Porphyromonas gingivalis, Bilophila wadsworthia,

Clostridium perfringens, Clostidium dijficile, Propionibacterium acnes, Actinomyces meyeri.

Cette orientation présomptive permet la détermination du genre bactérien de la grande majorité des anaérobies (ce qui est souvent suffisant).

* Identification définitive

L' identification précise de certaines espèces est plus délicate et nécessite des examens

complémentaires : chromatographie en phase gazeuse, biologie moléculaire.

4 - Sensibilité aux antibiotiques

Les bactéries anaérobies provoquent un nombre important d'infections qui nécessitent une

thérapeutique spécifique.

Les Bacteroides du groupefragilis sont résistants à de nombreux antibiotiques. Certaines espèces

sont sécrétrices de béta-lactamases, d'autres sont résistantes au métronidazole. L'isolement,

l'identification et la détermination de la sensibilité aux antibiotiques sont aussi importants pour ces

bactéries que pour les autres pathogènes (tableau 3).

 

Tableau 3 : Antibiotiques à étudier pour une bactérie anaérobie

Bacteroides du groupe fragilis
amoxicilline

amoxicilline + ac. clavulanique

céphamycine

(céfoxitine ou céfotétan)

céfotaxime

imipénème

clindamycine

métronidazole

Autres bacilles à Gram négatif ( Prévotella,Fusobacterium)
amoxicilline


amoxicilline + ac. clavulanique

métronidazole

Cocci à Gram + et Bacilles à Gram + non sporulé (Propionibacterium, Actinomyces)

Actinomyces) pénicilline


métronidazole

vancomycine

ofloxacine

(pour Propionibacterium)

 

Clostridium
ampicilline

amoxicilline + ac. clavulanique

métronidazole

vancomycine

clindamycine

 

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