L'INCONTINENCE FECALE DU POST-PARTUM
                                                                        Bon exemple pour aborder ce problème dans sa globalité.

L'incontinence fécale a été reconnue récemment comme une séquelle sous-estimée de l'accouchement.
L'amélioration des conditions sanitaires ayant entraîné une quasi disparition de la mortalité maternelle, l'attention a pu se porter sur la morbidité. Au premier rang des séquelles de l'accouchement se trouve l'incontinence, urinaire et/ou fécale, synonyme souvent de réclusion sociale. Or une prise en charge médicale efficace est possible.
Des connaissances de base sont donc nécessaires pour tous les professionnels de la santé s'occupant de femmes dans la période périnatale.

On définit l'incontinence fécale comme la perte involontaire de gaz, de selles liquides ou de selles solides. Un autre symptôme important est l'urgence fécale définie comme l'impossibilité de retarder une exonération de plus de 5 minutes.

La continence fécale est assurée par un mécanisme complexe. Deux composantes musculaires sont essentielles. Une partie importante du contrôle des matières fécales est assurée par le diaphragme pelvien constitué des muscles releveurs de l'anus (levator ani). Ces muscles s'insèrent sur l'ossature du bassin en formant un hamac. Ce hamac maintient les organes pelviens suspendus. Le faisceau le plus interne, constitué par le muscle pubo-rectal est composé de fibres musculaires striées. Il s'insère antérieurement sur la symphyse pubienne, se partage en deux chefs qui courent latéralement à l'urètre, au vagin et au canal anal pour finalement former, à l'arrière de celui-ci, le cap ano-rectal. La contraction de ce muscle fait office de clapet et maintient les matières fécales au-dessus du canal anal.

La deuxième partie du mécanisme de continence est composée du muscle sphincter de l'anus. Ce muscle est composé de deux éléments bien distincts, le sphincter externe et le sphincter interne, situés le long du canal anal et formant deux cylindres concentriques. La contraction de ces muscles assure principalement la continence des selles liquides et des gaz. Le sphincter externe est un muscle strié, le sphincter interne un muscle lisse.

Le contrôle de la continence fécale est très subtil. Un système sensitif est capable d'analyser la contenance de l'ampoule rectale tant sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif. Il est notamment important de pouvoir différencier entre des selles solides ou liquides et des gaz.

Le contrôle musculaire est à la fois volontaire et réflexe. Il est ainsi normalement possible de retenir en permanence le contenu de l'ampoule rectale, sans y penser, et de pouvoir choisir l'endroit et le moment de l'exonération. Des voies réflexes permettent de maintenir la continence lors de l'augmentation brusque de la pression intra-abdominale. Il est enfin possible de libérer le contenu rectal de façon sélective.

La composante musculaire aussi bien que la composante nerveuse du mécanisme de continence fécale peuvent être endommagées lors d'un accouchement. Des ruptures du sphincter anal peuvent être causées par une extension directe d'une déchirure périnéale ou d'une épisiotomie. Le sphincter peut également être étiré lors du passage du mobile foetal. Le diaphragme pelvien, notamment le muscle pubo-rectal peut également être lésé lors de l'accouchement. Une atteinte de la composante nerveuse a aussi été décrite, liée à un étirement du nerf honteux à sa sortie du canal d'Alcock.

L'incontinence fécale post-partum était classiquement connue comme un phénomène invalidant mais rare. Il semble que l'incidence d'incontinence fécale est en fait beaucoup plus élevée.

Parallèlement, la prévalence dans la population générale d'incontinence fécale a été sous-estimée. Parmi les femmes consultant un proctologue spécifiquement pour une incontinence fécale, une anamnèse d'accouchement difficile est fréquente.

Qu'entend-on par un accouchement difficile ?
Parmi les facteurs les plus importants, on trouve l'accouchement instrumenté, particulièrement le forceps, l'épisiotomie et l'anesthésie péridurale. En analyse multivariée, seul l'accouchement par forceps ressort comme un facteur indépendant associé avec le développement d'une déchirure sphinctérienne. Le poids de l'enfant, la circonférence céphalique de l'enfant, la provocation de l'accouchement, la longueur de chaque stade du travail, les antécédents de déchirure périnéale, l'âge maternel et la race ne semblent pas reliés de manière significative au développement de déchirures sphinctériennes à l'accouchement.

En ce qui concerne la conduite de l'accouchement, deux gestes sont particulièrement sujets à la controverse : l'épisiotomie et l'accouchement instrumenté. Les épisiotomies préviennent seulement les déchirures périnéales antérieures, qui sont associées à une morbidité minime. Elles n'ont en revanche aucun des autres bénéfices maternels et foetaux traditionnellement décrits. Ceux-ci comprennent la prévention des lésions périnéales postérieures et de leurs séquelles, la prévention de la relaxation du plancher pelvien et la protection du nouveau-né, que ce soit de l'hémorragie intracrânienne ou de l'asphyxie néonatale. De plus, ce faible bénéfice est contrebalancé par une augmentation des pertes sanguines maternelles, des lésions périnéales postérieures, des déchirures du sphincter anal (au moins en ce qui concerne l'épisiotomie médiane), du risque de cicatrisation périnéale défectueuse et enfin de la douleur dans les premiers jours post-partum. Malgré tous ces arguments contre l'épisiotomie de routine, elle reste encore largement pratiquée.

Le second sujet de controverse consiste à choisir l'instrument de premier choix pour l'accouchement instrumenté. Ceci se traduit par une variation régionale très importante des pratiques. L'analyse des données disponibles dans la littérature semble indiquer que le forceps serait responsable de plus de traumatismes périnéaux que la ventouse. Cependant dans aucune des études publiées la mesure de ce traumatisme est établie de façon objective. Aucune étude prospective avec une méthodologie correcte en ce qui concerne principalement la randomisation des patientes ne s'adresse au problème de l'incontinence. Par ailleurs, la vraie question n'est peut-être pas : quel est l'instrument de premier choix, mais dans quelles conditions peut-on encore faire légitiment un accouchement instrumenté.

Au vu de la haute incidence d'incontinence fécale dans le post-partum, chaque patiente devrait être spécifiquement interrogée à ce sujet. Il est inquiétant de constater que seules 25% des femmes ont préalablement parlé à leur gynécologue ou à leur médecin traitant de leur incontinence fécale. L'anamnèse doit préciser l'importance de l'incontinence, si celle-ci concerne les selles solides, les selles liquides ou les gaz. La fréquence des épisodes d'incontinence doit être précisée ainsi que leur retentissement sur la vie sociale, professionnelle et conjugale. Les urgences fécales doivent aussi être recherchées. La prise en charge d'une patiente souffrant d'incontinence fécale doit être efficace. Avec un minimum d'investigations secondaires, le médecin doit pouvoir déterminer si un traitement conservateur ou chirurgical devrait être entrepris.

L'examen clinique du mécanisme sphinctérien anal débute par l'inspection du périnée. Une déchirure du plancher pelvien et du sphincter externe de l'anus se traduit par une diminution de la distance entre l'anus et la fourchette vaginale. Par ailleurs les stries cutanées et radiaires anales peuvent être supprimées dans la partie antérieure de l'anus. Une fistule recto-vaginale doit soigneusement être recherchée. Le toucher rectal permet de mettre en évidence un défect au niveau musculaire. La force de la contraction peut également être évaluée. Lors de la contraction volontaire du mécanisme d'incontinence anale, on évalue d'une part le sphincter anal, d'autre part la fonction d'élévation du muscle pubo-rectal. La mise en évidence d'une contraction, même inefficace en raison d'une rupture sphinctérienne permet de s'assurer de l'intégrité de l'innervation du sphincter.

L'échographie endo-anale représente l'examen de premier choix pour l'évaluation des troubles de la continence anale du post-partum. Plusieurs fabriquants d'appareils d'ultrasons ont développé des sondes rotatives de faible diamètre capables de produire des images de haute définition du sphincter anal. Le sphincter interne de l'anus apparaît comme un anneau hypo-échogénique, entouré par un anneau hyper-échogénique, le sphincter externe de l'anus. Plusieurs études récentes ont attiré l'attention sur l'incidence de déchirures sphinctériennes anales au moment de l'accouchement. La majorité de ces déchirure ne sont pas mise en évidence cliniquement au moment de la suture d'une éventuelle déchirure périnéale superficielle ou d'une épisiotomie.
On peut mettre en évidence par une échographie endo-anale effectuée 6 semaines après l'accouchement, une déchirure sphinctérienne chez 35% des nullipares et 44% des multipares. Ces lésions ont encore été retrouvées chez des femmes examinées 6 mois plus tard. Aucune des femmes examinées après une césarienne ne présentait de lésion sphinctérienne. Une association significative a pu être démontrée entre les lésions du sphincter anal et les symptômes ano-rectaux. Parmi les femmes sans lésion sphinctérienne, l'incontinence fécale était exceptionnelle. Parmi les femmes chez qui une lésion sphinctérienne a été mise en évidence 37% présentent des urgences fécales et 20% une incontinence fécale.

Des patientes nullipares ont été recrutées, beaucoup ont accepté un examen endo-anal à 3 mois du post-partum et ont répondu à un questionnaire qui évaluait la continence fécale. Au moment de l'accouchement la majorité des patientes semblaient avoir cliniquement un sphincter anal intact. 3 mois après l'accouchement 47% de ces patientes avaient une déchirure sphinctérienne mise en évidence par l'échographie endo-anale. Un tiers de ces patientes était symptomatique. La valeur prédictive positive de l'échographie endo-anale 6 semaines après l'accouchement est donc relativement faible, de l'ordre de 40 à 50%. Ceci peut s'expliquer par le fait que la continence fécale est assurée par plusieurs mécanismes complémentaires. Chez certaines femmes avec des lésions sphinctériennes, des mécanismes compensatoires permettent d'assurer la continence fécale. Il est possible qu'avec le vieillissement des tissus et les modifications hormonales de la ménopause, ces mécanismes compensatoires deviennent insuffisants et qu'à ce moment-là une incontinence se développe.

Pour les cas difficiles, l'imagerie par résonance magnétique semble être une alternative prometteuse. Pour cette technologie également, des sondes endo-anales ont été élaborées, qui permettent une définition remarquable des structures sphinctériennes.

En cas de doute sur l'intégrité neurologique des systèmes de continence anale, des études neurophysiologiques peuvent être indiquées. Des altérations de la conduction neuromusculaire ont été mises en évidence par mesure de la latence de la partie terminale du nerf honteux. Une latence augmentée a été mise en évidence chez 33% des mères 48 heures post-partum. Ces anomalies récupèrent partiellement 2 mois post-partum, mais peuvent dans certains cas persister ou même empirer 5 ans plus tard. Une électromyographie du sphincter anal peut également être effectuée et mettre en évidence des phénomènes de d'énervation et ré-innervation.

L'anamnèse, l'examen clinique et ces examens complémentaires permettent d'élucider le mécanisme de l'incontinence dans une grande majorité des cas. Une proposition thérapeutique peut alors être formulée. En cas de défaut anatomique associée à une incontinence invalidante, un traitement chirurgical doit être rapidement proposé. Pour une incontinence fécale secondaire à une déchirure sphinctérienne obstétricale, le traitement consiste en une sphinctéroplastie par suture des extrémités déchirées. Les résultats sont excellents avec une restauration de la continence fécale dans presque 80% des cas et une amélioration pour presque toutes les autres patientes.

Les patientes souffrant d'une incontinence fécale associée à une lésion neurologique, ou encore une commande inadéquate du périnée, peuvent bénéficier de traitements conservateurs. Ces traitements comportent des modifications diététiques, des traitements pharmacologiques, une physiothérapie pelvienne et des techniques de bio feed-back. Une diète riche en fibres permet la formation de selles formées, molles, plus aisées à contrôler.

Les possibilités médicamenteuses pour le traitement de l'incontinence fécale sont relativement limitées. Le Lopéramide est parfois utilisé. En effet, à part ralentir le transit intestinal, il produit une augmentation du tonus sphinctérien.

Les exercices de physiothérapie pelvienne et le bio feed-back sont très importants dans le traitement des patientes souffrant d'incontinence. L'entraînement pelvien nécessite une répétition fréquente de contractions volontaires de la musculature pelvienne.

Un apprentissage est le plus souvent nécessaire. C'est là que la méthode de bio feed-back intervient. A l'aide d'un capteur de pression rectale ou vaginale, la patiente apprend progressivement à contracter ses muscles de manière efficace. Le succès d'un traitement conservateur dépend certainement de la motivation de la patiente. Cependant, et ce point est essentiel, le traitement conservateur est voué à l'échec en cas de lésion sphinctérienne majeure. Pour cette raison une diagnostic précis doit être rapidement posé.

Quelle voie d'accouchement proposer à une femme ayant subi une déchirure du sphincter anal ? La littérature médicale n'apporte pas de réponse claire à cette question. Une patiente ayant subi une sphinctéroplastie ou une autre opération afin de restaurer la continence fécale après un accouchement devrait être conseillée à accoucher par césarienne par la suite. Pour les autres patientes, l'incontinence même transitoire après le premier accouchement semble indiquer un risque plus élevé d'incontinence permanente après un nouvel accouchement par voie basse. Ceci a été montré chez des patientes ayant subi une déchirure sphinctérienne cliniquement évidente à l'accouchement. Cette incontinence concerne principalement les gaz. Si une tentative d'accouchement par voie basse est choisie, une disproportion foeto-pelvienne (foeto-périnéale ?) devrait être évitée ainsi qu'un accouchement instrumenté. Peut-être qu'une épisiotomie médio-latérale permettrait d'épargner le sphincter anal. Aucune donnée concrète n'est disponible dans la littérature. Ces diverses options devraient être discutées avec la patiente.

En conclusion, l'incontinence fécale est une complication sous-estimée de l'accouchement. Il convient d'interroger spécifiquement les patientes sur ce point. Un traitement efficace est disponible. L'approche optimale est multidisciplinaire, impliquant le gynécologue obstétricien, le proctologue, et les spécialistes de la rééducation pelvienne, physiothérapeutes ou sages-femmes spécialisés. Site Meter