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Vivre avec la Maladie de Crohn

Apprendre que l'on est atteint de maladie de Crohn, maladie relativement rare, que l'on n'a jamais vue autour de soi, qui a été longue à diagnostiquer, ne provoque pas le même choc que l’annonce d'autres maladies qui touchent les sujets jeunes. Apprendre qu'elle est de cause inconnue et d'évolution imprévisible en fait par contre une maladie difficile à supporter. Les malades, souvent intelligents, volontaires, dynamiques, ne veulent pas se laisser abattre par la maladie, mais leurs qualités sont une arme à double tranchant, car ces battants supportent souvent très mal les contraintes.

Si la maladie est bénigne, aux poussées espacées, leur force de caractère et leur souci de bien comprendre les traitements qu'on leur propose sont des atouts pour l'enrayer au mieux. Mais si la maladie est plus sévère, qu'elle met beaucoup d'entraves à leurs projets de vie, elle devient un obstacle en eux-mêmes contre lequel ils se révoltent, une contrainte insupportable sur laquelle ils croient n'avoir aucune prise. Pour peu que leur médecin ait été maladroit dans sa façon de présenter la maladie, ils ont entendu qu'ils seraient malades à vie; dans ces conditions la vie ne vaut pas pour eux la peine d’être vécue; à des moments de décompensation grave, ils risquent de se laisser couler sans vouloir lutter. Par contre, tant qu'ils ne sont pas très malades, ils préfèrent faire comme s'ils ne l'étaient pas du tout; ils prennent des risques en retardant les consultations, en refusant les examens ou les hospitalisations, en absorbant les médicaments à leur idée; cela peut les amener justement là où ils ne voulaient pas aller : être soumis à l'emprise d'une maladie grave, à l'emprise du corps médical, à l'emprise de leur famille dont ils ne peuvent plus se passer.

Je voudrais montrer ici qu’en prenant en compte ces traits de caractère, on peut éviter d'entrer dans la spirale infernale et faire que vivre avec un Crohn soit supportable. Plus, que si on a la chance d'avoir une vie qui laisse une certaine liberté, un certain pouvoir sur les événements, on peut aussi contribuer à rendre la maladie latente pour de nombreuses années.

I- Retrouver un certain pouvoir sur l'évolution de la maladie

  1. Collaborer au choix des traitements
    Comprendre le pourquoi des prescriptions est essentiel pour ne pas les subir comme des décisions arbitraires du médecin :
    • suivre un régime riz, pâtes/viande hachée, poisson en cas de crise aiguë, voire ne pas manger du tout et laisser l'alimentation entérale ou parentérale permettre la cicatrisation des lésions, il faut l'avoir fait suffisamment longtemps pour se rendre compte par soi-même qu'un écart re-déclenche les troubles;
    • voir que des corticoïdes qu'on n'accepte qu'avec réticence sont efficaces sur l'inflammation demande aussi de les avoir pris régulièrement;
    • s'apercevoir que seule une opération peut suspendre les crises de subocclusion dues à un rétrécissement cicatriciel, que seule une stomie provisoire peut réduire l'inflammation sur l'intestin restant, demande qu'on ait fait confiance au médecin prescripteur puisqu'on ne pourra être sûr du résultat qu'après, etc...
    • Mais constater aussi que les indications thérapeutiques comportent dans cette maladie une marge d'incertitude, qu'elles ne dépendent pas complètement du chiffre de l'indice de Best, mais de l'expérience du médecin qui verra si son malade a une "bonne tête" ou s'il est "très fatigué" exige une certaine prise de conscience.
      En fonction de son anxiété personnelle, le médecin pourra trouver qu'on peut attendre - ou non - avant de donner un traitement plus intensif, d'hospitaliser ou de programmer une intervention. S'il est chirurgien, il trouvera que la solution radicale est la meilleure, s'il est médecin il préférera essayer d'éviter l'opération.
      C'est cette marge d'incertitude qui explique les divergences de vues entre médecins qui ne doivent pas affoler le malade. C'est aussi cette marge d'incertitude qui peut lui permettre de peser sur la décision en fonction de ses préférences, la solution la plus lourde ou l'attente pour voir si on peut s'en passer.
  2. Choisir son médecin
    Bien se soigner implique donc la collaboration malade/médecin. Cela demande :
    • une relation de confiance avec un médecin compétent, bien sûr;
    • la possibilité de lui demander des explications, de le rencontrer à la moindre inquiétude, à la moindre révolte contre les traitements pour en parler franchement et éviter les actes nocifs sur l'évolution de la maladie.

    ...ou choisir le Centre Hospitalier qui pourra aussi vous proposer un protocole. Le fonctionnement des CHU actuels est souvent la mise en commun de protocoles de traitements appliqués dans plusieurs centres pour vérifier que ces nouveaux traitements apportent de meilleurs résultats que les précédents; par exemple, actuellement de l'Imurel® pendant cinq ans dans le but de prévenir les rechutes. Se faire soigner dans ces conditions c'est donc accepter une règle qui s'applique à tous, qui demande les mêmes contrôles pour tous. Entrer en guerre contre elle ne peut qu'entraîner des conflits, voire des sentiments de culpabilité, ...et aggraver la maladie.

II- Choisir ses contraintes

Quand on s'est occupé comme moi de beaucoup de malades atteints de maladie de Crohn en s'intéressant aux facteurs psychologiques, on saisit en effet que ces facteurs influent sur le cours de la maladie. Cela est beaucoup plus difficile à voir que lorsqu'une maladie survient après un événement marquant comme la perte d'un être cher où tout le monde peut faire le rapport entre les deux faits. Ici, c'est plutôt l'accumulation de contraintes auxquelles on ne peut échapper qui font "craquer", mais au lieu que ce soit sous la forme d'angoisses et de dépression, cela se manifeste par une recrudescence de la maladie. Comme cette accumulation de contraintes ne diffère pas beaucoup de celles que nous subissons tous, les médecins croient souvent que les facteurs psychologiques n'entrent pas en ligne de compte.
La différence vient de ce que chacun de nous est plus ou moins sensible aux contraintes; ce qui est pour l'un, contrainte intolérable, est relativement bien vécu par l'autre; de plus le sentiment de contrainte ne vient pas pour tous des mêmes choses de la vie :

  • pour l'un ce sera de supporter dans son travail un chef incompétent ou autoritaire; pour l'autre d'être empêché d'aller travailler par une prescription de repos qu'il juge inutile;
  • pour l'un d'être immobilisé au lit sans rien pouvoir faire; pour l'autre d'avoir à faire son ménage tous les jours, sans aide, malgré la fatigue;
  • pour l'un de continuer à vivre sous le toit d'une mère, d'une femme qui veut tout contrôler; pour l’autre d'être obligé de s'assumer seul, loin d'une telle mère, d'une telle femme qui apporte la sécurité, etc...

Il ne peut donc y avoir de "protocole" ni de diagnostic, ni de traitement pour toutes ces situations. Il ne peut y avoir de conduite définie une fois pour toutes, mais une interrogation permanente pour savoir ce qui, à un moment donné, risque de peser sur la maladie.

III- Modifier l'impact du psychisme sur la maladie

Quand la répétition des contraintes entraîne un état de tension permanente, d'irritation visible ou contenue, plusieurs solutions s'offrent :
Les médicaments psychotropes peuvent accompagner les traitements gastro-intestinaux, d'autant qu'ils agissent eux aussi sur l'intestin :

  • les plus prescrits sont les anxiolytiques comme le Tranxène®, le Lexomil®, le Xanax®, etc... Ils soulagent sur le champ, mais n'ont pas d'effet à long terme;
  • les antidépresseurs sont utiles quand la situation qui décompense la maladie est celle qui pourrait donner une dépression, même si la dépression n'est pas visible;
  • les neuroleptiques sont malheureusement des médicaments méconnus par les généralistes et les gastro-entérologues qui croient qu'ils sont bons "pour les fous", et par les psychiatres qui n'ont pas l'expérience des maladies physiques et ne savent pas que ces médicaments qu'ils donnent à fortes doses à leurs malades peuvent agir ici à doses quasi homéopathiques.
    Ce sont pourtant eux qui constituent un traitement de fond qui apaise la tension sous-jacente à la maladie, par exemple le Dogmatil®, le Tercian®, le Dipipéron®, à choisir selon que les patients sont plus anxieux ou plus énervés, ce qui peut être d'ailleurs une conséquence du traitement par les corticoïdes.

Les psychothérapies peuvent aussi aider grandement à apaiser cette tension lorsque les consultations avec le médecin habituel ne suffisent pas. Le psychothérapeute est par lui-même, par son écoute bienveillante, un soutien au milieu des difficultés. Mais surtout les entretiens aident à rendre conscients les motifs de tension refoulés. Le malade peut ainsi découvrir combien lui pèse l'emprise d'une famille à laquelle il est très attaché et avec laquelle il ne veut pas se fâcher. Le thérapeute pourra l'aider à retrouver une certaine autonomie en évitant de blesser les autres et de risquer la rupture, etc...

Bien sûr tous les gens qui ne supportent pas les contraintes n'ont pas la maladie de Crohn et tous les gens qui ont un Crohn n'ont pas ce caractère. Il doit y avoir aussi parmi eux des gens beaucoup plus passifs, qui croient en leur médecin comme au Bon Dieu et préfèrent se mettre la tête sous l'aile pour ne rien savoir de ce qui les menace. Le risque pour eux qui sont vis-à-vis des soignants comme des enfants confiants, c'est qu'ils aient besoin de continuer à être malades pour garder cette relation. Mais c'est un autre problème !

 
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