THROMBOSE ET BIOLOGIE
A PROPOS DE " THROMBOPHILIE "
Index de la page

C'est en 1856 que VIRCHOW a proposé de rassembler sous la forme d'une "triade" les principales causes de thrombose :

Ces trois rubriques, qui restent d'actualité, ont alimenté pendant 140 ans une activité de recherche considérable, qui n'a pourtant pas permis, à ce jour, d'élucider totalement cette pathologie. Il y a pourtant du nouveau...

Les thromboses veineuses constituent un réel problème de santé publique, en particulier par le risque de décès qu'elles entraînent parfois par embolie pulmonaire. En dehors des pathologies rares ou graves, comme certains cancers, certaines circonstances peuvent les favoriser : alitement, grossesse, contraception oestro-progestative, voyage prolongé. Nous ne nous intéresserons ici qu'aux modifications des propriétés du sang, directement accessibles au biologiste, et plus particulièrement à l'étude des modifications constitutionnelles ou acquises des facteurs de l'hémostase pouvant faciliter une thrombose veineuse

L'hémostase est un système complexe qui fait appel aux plaquettes, aux cellules endothéliales et à un réseau interactif de protéines plasmatiques (facteurs de coagulation et leurs inhibiteurs). Ce mécanisme est normalement déclenché dans le secteur extra vasculaire pour colmater une blessure et arrêter l'hémorragie. Son activation à l'intérieur du système vasculaire entraîne la thrombose.

Le thrombine est la clé de l'équilibre entre la fonction hémostatique normale et son déclenchement pathologique. Générée localement à la surface des plaquettes activées, elle va recruter d'autres plaquettes, coaguler le fibrinogène et accélérer sa propre formation en activant "en boucle" les facteurs V et VIII. Diluée dans le flux circulatoire, son taux est maintenu en dessous d'un seuil critique par plusieurs mécanismes inhibiteurs dont les principaux sont l' anti thrombine III et le système thrombo moduline protéine C - protéine S.

Les anomalies constitutionnelles de ces inhibiteurs s'accompagnent d'une fréquence nettement accrue de thrombose veineuse lors de situations à risque, mais aussi spontanées.

La thrombophilie familiale définit les familles atteintes d'accidents surtout veineux et volontiers récidivants. Le premier accident est précoce, avant 40 ans, et souvent insolite par sa localisation (mésentérique, rénale, portale, cérébrale...) et ses circonstances d'apparition (thrombose ambulatoire ou disproportionnée par rapport à une cause favorisante classique).

D'autre part, ces dernières année, de nombreux travaux ont mis en lumière l'étroite relation entre des manifestations thrombotiques et la présence d'anticorps anti-phospholipides. Cette pathologie acquise, de nature auto-immune, est donc totalement différente de par sa cause de la pathologie constitutionnelle. mais elle enrichit également le chapitre des thrombophilies.

 

I/ ANOMALIES CONSTITUTIONNELLES

I.1. - Déficit en anti thrombine III

Ce fut le premier inhibiteur connu (1965), dont le déficit entraîne manifestement un état de thrombophilie. Le taux normal est supérieur à 70%.

La transmission de ce déficit se fait sur le mode autosomal dominant. Les hétérozygotes présentent des taux de l'ordre de 50 %. Parmi eux, la moitié vont présenter une pathologie thrombotique (thrombose veineuse profonde, phlébite, embolie pulmonaire, mais aussi thromboses superficielles). Il existe des circonstances favorisantes, chirurgicales, obstétricales et médicales (en particulier la prise d' oestro-progestatifs oraux). La prévalence atteint à peine 1/5000 dans la population générale.

Le diagnostic biologique de confirmation permet de distinguer les déficits de type I avec défaut d'activité fonctionnelle et anomalie immunologique, des déficits de type II sans anomalie immunologique.

La génétique moléculaire a permis de situer le gène codant pour la protéine AT sur le chromosome 1. Formé de 7 exons et de 13 480 paires de bases, il est le siège d'une cinquantaine de mutations actuellement répertoriées.

 

I.2 - Déficit en protéine C

La protéine C (PC) est une protéine vitamino-K dépendante synthétisée par le foie. Elle circule sous forme inactive et va s'activer au contact des vaisseaux.

La thrombine, dès qu'elle est formée, se fixe sur les cellules endothéliales au niveau d'un récepteur, la thrombomoduline. Cette liaison lui confère la propriété d'activer la protéine C et ainsi de déclencher un système anti thrombotique qui contrebalance son effet pro coagulant initial.

La protéine C activée (Pca) va se lier, en présence de protéine S et de phospholipides plaquettaires ou endothéliaux, aux facteur V et VIII activés. Ces derniers sont protéolysés et inactivés.

Le déficit en PC est environ 2 fois plus fréquent que le déficit en AT. Le taux normal est supérieur à 70%.

La forme homozygote est rare et rapidement létale en l'absence de traitement substitutif.

La forme hétérozygote est beaucoup plus fréquente et se traduit par une maladie thrombo-embolique récidivante débutant généralement entre 15 et 40 ans.

Le gène codant pour la PC est situé sur le chromosome 2 et comporte 11 600 paires de bases. 9 exons ont été décrits, chacun correspondant à un domaine fonctionnel de la molécule finale (417 acides aminés après maturation).

Une centaine de mutations ont été répertoriées, induisant des anomalies moléculaires très variables dans leur expression. De ce fait, il est difficile d'interpréter des concentrations situées entre 60 et 70 % qui peuvent s'observer chez des sujets normaux ou hétérozygotes.

Il est important de connaître le contexte clinique et il peut être nécessaire de réaliser une étude familiale avant de conclure dans certains cas "limite".

Il est intéressant de noter, par référence à la "triade" de Virchow, l'existence d'une étroite intrication des composants vasculaires (la thrombomoduline est une protéine endothéliale) et sanguins comme la PC. Une modification moléculaire de la thrombomoduline, possible bien qu'exceptionnelle, entraînera un effet similaire au déficit en PC.

 

I.3 - Déficit en protéine S

Il se manifeste par la même symptomatologie que le déficit en PC, dont la protéine S (PS) intervient comme cofacteur.

La PS circule dans le plasma sous deux formes. L'une, libre, se lie à la Pca, l'autre, liée à la C4BP (protéine porteuse de la fraction C4 du complément) n'intervient pas sur la coagulation.

Le diagnostic d'un déficit éventuel doit tenir compte de la forme libre. Le taux normal est supérieur à 70%. Sa fréquence est légèrement supérieure aux déficits en PC. Outre des thromboses veineuses profondes, ce déficit peut causer des thromboses artérielles.

Ici aussi la transmission est autosomale : les 2 sexes sont donc également touchés.

Que ce soit pour la PC ou la PS, compte tenu du caractère vitamino K dépendant de leur synthèse, le diagnostic ne sera fait qu'en dehors de tout traitement AVK.

Il est important de signaler que la demi-vie de ces protéines est inférieure à celle des facteurs de coagulation vitamino-K dépendants. Dès lors, leur traitement par AVK ne peut être mis en oeuvre qu'après un relais héparinique strict. En effet le déficit induit par les AVK se produit après 24 heures, contre 48 heures pour les facteurs de coagulation, et il y a alors majoration du déficit constitutionnel sans effet anticoagulant, à l'origine d'accidents thrombotiques gravissimes (nécrose cutanée).

 

I.4 - Résistance à la protéine C activée

Nous abordons ici la novation la plus marquante de ces dernières années. Jusqu'en 1994, une enquête étiologique basée que la recherche d'un déficit en AT, PC, ou PS ne pouvait reconnaître leur responsabilité que dans 15 % des cas de thromboses veineuses récurrentes. La découverte de Dahlbäck, il y a 2 ans, semble susceptible d'éclairer environ 30 % des cas supplémentaires : c'est dire son intérêt.

De quoi s' agit-il ? D'un déficit héréditaire, à transmission autosomale dominante, entraînant une résistance à l'action de la PC activée, c'est-à-dire l'équivalent d'un déficit en PC.

Comme nous l'avons vu, la PC activée agit sur les facteurs V et VIII de la coagulation. Ici c'est le facteur V, cible principale, qui est le siège d'une mutation, au locus 1691 du gène codant, entraînant sur la molécule protéique la substitution d'une Arginine par une Glutamine en position 506.

Or cette Arginine correspond au premier site de clivage enzymatique du facteur V par PC activée, ce qui explique que les porteurs de cette mutation soient résistants à l'action anti-coagulante de la PC. Cette anomalie a donc été dénommée "Résistance à la Protéine C activée" (RPCa).

 

 

La mutation responsable ayant été découverte à Leiden, le facteur V muté est appelé "Facteur V LEIDEN". 92 % des sujets qui présentent une RPCa dépistée par un test de coagulation sont porteurs de cette mutation. Il existerait donc d'autres mutations pour les 8 % restant.

Le test de dépistage (test de Dahlbäck) consiste à étudier le temps de coagulation (TCA) en présence de PC activée. Normalement il se produit un allongement. Chez les malades, dont le facteur V est muté, la PC activée est inefficace et le temps ne s'allonge pas.

Cliniquement, les patients présentent la même symptomatologie que les porteurs d'un déficit en AT, PC ou PS. Il s'agit de thromboses essentiellement veineuses de l'adulte jeune.

La prévalence de la mutation est variable d'une région à l'autre, avec décroissance selon un gradient Nord Sud (7 % en Suède, 0 au Japon où la fréquence des thromboses veineuses est pratiquement nulle). En France la fréquence de l'anomalie est de l'ordre de 5 % de la population générale, d'où l'importance d'en organiser le dépistage dans les familles "à risque".

Ce dernier doit logiquement être fait en 2 temps. D'abord par le test de Dalhbäck, couplé aux autres examens de coagulation à la recherche d'une anomalie thrombogène.

En cas de positivité du test de dépistage, la recherche de la mutation de Leiden sera pratiquée par biologie moléculaire (PCR suivie d'une révélation par sondes ou d'une analyse de restriction enzymatique).

Un traitement prophylactique ne s'impose absolument pas d'emblée. En effet, seuls les déficits homozygotes semblent susceptibles d'entraîner un risque élevé de thrombose spontanée.

Faut-il rechercher la RPCa chez toutes les jeunes femmes avant de prescrire une contraception orale ? Quelle contraception ? La contraception orale estrogénique chez une patiente porteuse de la RPCa multiplie par 10 son risque de thrombose. Peut - on opter pour les progestatifs purs ? Ces questions sont à l'ordre du jour et donnent encore lieu à un débat d'experts. Il conviendra d'avoir un peu de recul pour se prononcer.

Une recherche systématique ne semble pas raisonnable en termes d'économie de santé. Elle semble devoir être proposée dès lors que des antécédents personnels ou familiaux sont connus, et surtout faire partie du bilan étiologique en cas de thrombose survenue sous traitement.

La surveillance de la grossesse est également à l'ordre du jour. On sait que les Héparines de Bas Poids Moléculaires n'ont pas encore officiellement reçu d'AMM pour cette prophylaxie... L'Héparine non fractionnée n'est utilisable qu'à partir du 3ème trimestre.

Dans toutes les situations "à risque", quand on est sûr que le malade est atteint d'un déficit en AT, PC, PS, ou d'une RPCa ayant entraîné un accident grave (embolie pulmonaire) sans autre cause, un traitement AVK doit être pris en relais de l'héparine, de manière indéfinie, à dose anticoagulante (INR : 2 à 3).

Il en sera certainement de même pour les patients porteurs de la mutation G 20 210 A du gène de la prothrombine, très récemment décrite, et qui entraîne également une tendance à l' hyper-coagulabilité.

 

II/ ANOMALIE ACQUISE : les anticorps anti-phospholipides

Ces dernières années, un grand nombre de publications est paru sur le "syndrome des anti-phospholipides", associant la présence d'anticorps anti-phospholipides (APL) à des thromboses ou à des fausses couches répétées.

Il s'agit ici d'une pathologie acquise et non pas constitutionnelle, à caractère auto-immun.

Les anticorps sont dirigés contre les phospholipides intervenant dans la coagulation (phospholipides plaquettaires ou endothéliaux) ou contre les protéines qui leur sont associées.

- Les antigènes

Les principaux antigènes incriminés sont des phospholipides chargés négativement : phosphatidylsérine, cardiolipine, phosphatidyl inositol... ainsi que la protéine principale ßéta 2 glycoprotéine I (ß2-GPI) qui semble jouer un rôle important.

 

- Les tests de coagulation

On distingue les tests de dépistage, qui mettent en évidence la capacité de ces anticorps à allonger le temps de céphaline activé (TCA), sans correction après adjonction d'un témoin, d'où l'appellation "d'anticoagulant circulant". Ce sont des anticorps dits de type "lupique" car présents également au cours du LED. Une autre appellation "anticorps anti-prothrombinase" leur a été donnée en raison de leur activité sur les réactifs à base de phospholipides comme la thromboplastine ou prothrombinase. Mais ces "anticoagulants lupiques" sont mal nommés car ils ne sont pas l'apanage du lupus et in vivo ils induisent des thromboses.

Leur effet anticoagulant in vitro, doit être contrôlé par plusieurs techniques dont un test de confirmation : Test de thromboplastine diluée (TTD), test de neutralisation plaquettaire de Triplett, LA test, Test de stypven dilué ... etc.

 

- Les tests immunologiques

Outre le fait que ces anticorps puissent agglutiner le réactif du VDRL (très riche ne cardiolipine), produisant un "faux BW positif", il en existe un dosage spécifique par technique ELISA. Le réactif antigénique étant à base de cardiolipine, ce dosage est appelé "anticorps anti cardiolipide". Il a l'avantage d'être standardisé, avec une valeur seuil à 10 UI et une positivité certaine au delà de 20 UI.

 

- Interprétation des tests

La concordance est rarement parfaite en raison de l'hétérogénéité des préparations anti géniques (il faut que l'anticorps du patient rencontre le phospholipide contre lequel il est dirigé). Il est donc impératif de pratiquer à la fois les tests de coagulation et les tests immunologiques. Les tests immunologiques sont en principe plus sensibles. Les tests de coagulation ont une meilleure valeur prédictive des possibles accidents thrombotiques.

Chez les enfants, il est fréquent de trouver un anticorps "anti-prothrombinase" en période d'infection (par exemple lors du bilan préopératoire d'une amygdalectomie). Cette présence transitoire, liée à une réaction immunologique non spécifique, se négativera quelques mois plus tard spontanément. Bien qu'allongent le TCA, elle n'a aucune conséquence clinique sur l'hémostase et ne doit pas retarder l'intervention.

 

- Pathologie thrombotique

Les thromboses peuvent être veineuses ou artérielles. Les thromboses veineuses intéressent tous les territoires et des embolies pulmonaires peuvent en résulter. Les thromboses artérielles touchent plus fréquemment les artères cérébrales (ictus, amaurose, ou ischémie transitoire, migraines...) en particulier chez les jeunes. Rarement il a été décrit un syndrome d'occlusions vasculaires multiples, catastrophique, pouvant être fatal en quelques semaines.

Chez les patients atteints de LED et porteurs de ces anticorps, le risque de thrombose est multiplié par 4 par rapport aux non porteurs.

 

- Pathologie obstétricale

La complication la plus fréquente est la fausse couche, généralement en fin de premier trimestre (thrombose placentaire). La plupart des gynécologues obstétriciens considèrent comme nécessaire de rechercher ces anticorps après 2 accidents consécutifs. Leur découverte entraîne une prophylaxie lors des grossesses suivantes (Aspirine à faible dose, Prednisone et maintenant HBPM).

 

- Thérapeutique

Hormis cette prophylaxie ponctuelle, les accidents thrombotiques seront classiquement traités à l'héparine, avec relais par AVK.

Ces derniers seront prescrits avec pour objectif un INR autour de 3.

Le problème de la durée du traitement est à considérer, comme pour les déficits constitutionnels, en fonction de la gravité des épisodes et des facteurs de risque associés. En cas de récidive, la majorité des auteurs préconisent une anti coagulation au long cours.

 

 

EN CONCLUSION

Un bilan étiologique devrait être réalisé systématiquement en cas de survenue de thrombose avant 40 ans, en cas de thrombose récidivante, en cas de déficit héréditaire connu dans la famille, et chez les patients atteints après 40 ans mais qui possèdent une histoire familiale de thrombose.

Ce bilan permettra de dépister les anomalies du "contenu" vasculaire, avec une pertinence de plus en plus importante depuis ces dernières découvertes.

 


Index général