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La pathogénie fort complexe de la maladie hémorroïdaire repose actuellement sur deux conceptions physiopathologiques plus ou moins complémentaires : la théorie mécanique basée sur la laxité de la sous-muqueuse du canal anal et la théorie vasculaire (désordres neuro-vasculaires engendrés par une brusque perturbation du système de régulation : rôle des shunts artério-veineux). Les modifications hormonales, l'importance du facteur compressif, la constipation et les efforts constituent autant de circonstances déclenchantes.
Manifestations cliniques
Le plus souvent asymptomatiques, les manifestations cliniques des hémorroïdes (hémorragies, procidences, thromboses et phénomènes inflammatoires) sont en fait la traduction de leurs complications. La constatation objective d'hémorroïdes est tellement banale qu'on doit de parti pris toujours rechercher une lésion associée, surtout lorsque la patiente consulte pour des rectorragies.
1. - Les hémorragies
Signe d'alarme, les hémorragies à l'anus en imposent pour un bilan complet. Elles sont faites de sang rouge, survenant à la fin de la défécation et cessant peu après, arrosant la selle et tachant le papier. Leur reproduction est irrégulière, capricieuse. Habituellement peu abondantes, elle peuvent par leur répétition être à l'origine d'une anémie hyposidérémique.
2. - La douleur
Il s'agit plutôt d'une gêne, d'une pesanteur, d'une brûlure. Discrète, coïncidant avec la selle, elle fait penser à un état inflammatoire associé : cryptite, papillite.
Permanente, vive, elle évoque le plus souvent une thrombose, mais aussi des associations toujours possibles : fissure, abcès.
3. - La tuméfaction anale
Elle est perçue par la malade. L'interrogatoire s'efforcera de faire préciser sa date d'apparition, son caractère transitoire ou permanent, sa réductibilité éventuelle, enfin son caractère douloureux.
4. - Le suintement et le prurit
Le suintement translucide de la procidence hémorroïdaire permanente ne doit pas être confondu avec l'écoulement épais d'une suppuration. Il peut être source de prurit anal.
Diagnostic
L'examen clinique permet de pratiquer un bilan précis de l'état local et donc d'orienter le traitement. L'inspection de la marge anale, en déplissant la peau, peut montrer :
- des marisques, séquelles cutanées d'un processus thrombotique
ancien,
- des hémorroïdes internes d'implantation basse ou procidentes,
- une thrombose hémorroïdaire externe, tuméfaction
bleutée en transparence sous la peau, sensible mais parfois particulièrement
douloureuse lorsque l'œdème est important,
- une thrombose prolabée irréductible et hyperalgique
couvrant souvent toute la circonférence péri-anale ; elle
est appelée thrombose du prolapsus ou prolapsus hémorroïdaire
étranglé. C'est une des véritables urgences douloureuses
de la proctologie.
Le toucher ano-rectal ne permet pas de faire le diagnostic d'hémorroïdes, mais élimine la contracture d'une fissure associée, l'induration d'un abcès profond ou d'une formation tumorale.
L'anuscopie visualise un anus rouge, des papilles hypertrophiées, une cryptite ou une thrombose hémorroïdaire interne. Surtout, elle apprécie le volume et la situation des hémorroïdes internes, localise le saignement éventuel et explique ainsi souvent la symptomatologie.
Eventuellement dans la foulée ou lors d'un examen endoscopique ultérieur, on éliminera une pathologie sus-jacente : inflammatoire (rectite hémorragique), infectieuse (amibiase, chlamydiose, gonococcie), traumatique (ulcération thermométrique), ou tumorale (polype, cancer).
Traitement
1. - Le traitement médical (tableau I) : Il est essentiel chez la femme enceinte :
a. - Règles hygiéno-diététiques
Hygiène locale
: systématique, mais sans excès, une toilette locale
après chaque selle est nécessaire. On peut utiliser des savons
parfois très gras, parfois acides, mais le plus souvent neutres.
L'utilisation de coton hydrophile à la place du papier hygiénique
et d'un lait de toilette à base d'huile d'amande douce est indispensable
en cas de prurit associé.
Hygiène alimentaire
: réduction ou suppression des épices (piment, poivre,
moutarde), des boissons alcoolisées et des excitants (thé,
café forts).
Régularisation
du transit intestinal : lutte contre la diarrhée et surtout
contre la constipation en évitant les laxatifs irritants (séné,
bourdaine, cascara, tamarin, phénolphtaléine) au profit de
l'huile de paraffine, des mucilages doux, des préparations à
base de son.
La dyschésie rectale sera améliorée par les suppositoires à dégagement gazeux, toujours préférables aux suppositoires à base de glycérine ou de bile.
b. - Médications
Elles constituent le traitement de fond de la maladie hémorroïdaire.
Par voie orale :
de multiples plantes sont utilisées, dont le principe actif est
le plus souvent la vitamine B (flavonoïde, rutoside).
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- Manifestations fonctionnelles
et discontinues - Etats congestifs et
- Thromboses |
- Règles hygiéno-diététiques
- Régularisation du transit
- Médications : orales, locales |
La plus populaire est bien le marron d'Inde. La tolérance digestive n'est pas toujours parfaite et heureusement maintenant de nombreuses spécialités existent dans le commerce.
Il faut surtout retenir que lors des poussées douloureuses aiguës, leur posologie doit être élevée, en moyenne le double ou le triple de la dose habituelle, durant une période brève de trois à sept jours.
Les anti-œdémateux per os sont utilisés en cas de réactions inflammatoires, notamment en cas de thrombose hémorroïdaire externe œdémateuse ou de thrombose du prolapsus. Ils doivent être préférés aux anti-inflammatoires non stéroïdiens, généralement contre-indiqués par les obstétriciens.
Par voie locale : ce sont les topiques hémorroïdaires. De multiples produits sont utilisés : topiques vrais protégeant la muqueuse contre l'agression des selles à base de titane, spasmolytiques musculotropes, diffusants, antiseptiques, anti-inflammatoires (dont les plus utilisés sont dérivés de l'hydrocortisone).
D'une façon générale, les suppositoires sont réservés aux lésions intracanalaires. Les crèmes, pommades, gels, moins bien tolérés par la muqueuse anale, seront appliqués sur les lésions marginales mais toujours de façon brève. Les deux formes peuvent d'ailleurs être associées dans certains processus inflammatoires et thrombotiques du canal anal.
2. - Les traitements ambulatoires (tableau II) : Les uns s'adressent aux manifestations hémorragiques, les autres aux manifestations douloureuses.
a. - Traitement des hémorragies
La sclérose
: c'est la méthode la plus anciennement connue. Son but est
de fixer la muqueuse anale au sphincter interne et de remédier au
relâchement de l'appareil musculo-ligamentaire de suspension, c'est-à-dire
à la fuite en avant des hémorroïdes par une injection
dans la sous-muqueuse anale du produit sclérosant (Kinuréa).
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- Hémorragies
- Procidences modérées haut
- Thromboses |
- Sclérose ou photocoagulation
- Ligature élastique
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Le point de pénétration de l'aiguille, courte (1 cm), est en muqueuse saine, immédiatement dans la zone sus-hémorroïdaire, mais en aval de la zone rectale.
En moyenne, deux à quatre injections sont nécessaires, réparties dans le temps, une fois par semaine ou tous les quinze jours, une à deux piqûres à chaque fois en des points diamétralement opposés, en respectant toujours les commissures antérieures et postérieures.
La quantité globale à chaque séance est de 2 à 5 ml, le produit sclérosant pouvant être aussi dilué avec du sérum physiologique à la première séance pour apprécier la susceptibilité du sujet.
La photo-coagulation
à l'infrarouge : le but de cette méthode est de réaliser
avec un appareil de maniement très facile, au travers de l'anuscope,
une photo-coagulation vasculaire créant un foyer de nécrose
bien délimité en surface et en profondeur au niveau de la
muqueuse sus-hémorroïdaire, c'est-à-dire au siège
habituel des injections sclérosantes, de façon à créer
une sclérose secondaire par obturation cicatricielle.
L'appareillage comporte une partie fixe électronique et un applicateur manuel qui a la forme d'un pistolet. L'extrémité de la sonde d'application, recouverte d'une substance polymère, ne colle pas à la muqueuse et peut être retirée sans la déchirer. On appuie donc sur la détente lorsque la sonde d'application, glissée au travers de l'anuscope, est au contact des tissus. Le rayonnement est limité par un compte-secondes suivant un mouvement d'horlogerie réglé en proctologie de 0,75 à 1,5 seconde. On fait une séance par quinzaine ou toutes les trois semaines de deux à trois applications sur chaque paquet hémorroïdaire.
Plusieurs impacts peuvent aussi être pratiqués au cours de la même séance, sur la totalité de la circonférence anale, avec un intervalle d'environ 1 cm. Il se produit une minuscule coagulation, tache grisâtre de 2 à 3 mm de diamètre, bien circonscrite, qui se rétracte en quelques jours et qui disparaît en deux à trois semaines.
Cette méthode paraît lors de la grossesse plus anodine, parfaitement indolore et plus performante.
b. - Le traitement des manifestations douloureuses
Les manifestations douloureuses de la maladie hémorroïdaire qui n'ont pas cédé aux traitements médical, général et local, peuvent justifier la thrombectomie d'une hémorroïde externe thrombosée.
L'intervention se fait en ambulatoire sous anesthésie locale et doit avoir lieu de préférence dans les premiers jours mais pas avant le troisième ou quatrième jour pour ne pas s'exposer à une récidive immédiate.
Elle n'a plus d'intérêt au bout de 8 à 10 jours lorsque la douleur a disparu sauf si l'on craint la formation d'une marisque inesthétique.
Technique :
après une anesthésie locale de quelques gouttes de Xylocaïne
à 1 % ou 2 %, parfois d'une quantité plus importante (un
demi à 1 ml) avec une aiguille très fine intra-dermique dans
l'épaisseur du tégument en surface ou sous la tuméfaction
si le processus thrombotique est profond, on pratique une incision de quelques
millimètres au bistouri à lame fine, dans le sens des plis
radiés. On énuclée ensuite le thrombus au besoin par
pression digitale. Un curetage complémentaire peut être nécessaire
entre deux pinces et dans le fond de la poche pour retirer d'autres thrombus,
parfois très adhérents à de petites logettes qu'il
faut même réséquer. Lorsque la poche est parfaitement
vidée, l'intervention est terminée. La plaie linéaire
cicatrise spontanément sans suture. On peut préférer
l'excision large aux ciseaux de la tuméfaction (caillot et loges
thrombotiques) ; une suture peut alors être rendue nécessaire
avec ou sans hémostatique local. On applique un pansement compressif
avec pommade au Collargol ou anti-inflammatoire.
Cette dernière technique permet d'éviter une réaction œdémateuse immédiate et l'inconfort d'une marisque résiduelle souvent inesthétique. C'est aussi le traitement de la thrombose hémorroïdaire interne lorsqu'elle est exquisément douloureuse.
A travers l'anuscope, sans anesthésie, on pratique une incision avec la pointe d'un bistouri à long manche, très limitée mais assez grande pour permettre l'énucléation du caillot sans provoquer de saignement des lacs hémorroïdaires voisins.
Toutefois, toutes les thromboses ne justifient pas de thrombectomie. La thrombose hémorroïdaire externe œdémateuse, et surtout la thrombose hémorroïdaire interne prolabée et irréductible (thrombose du prolapsus), la contre-indiquent et relèvent de la chirurgie d'emblée si le syndrome douloureux est intolérable ou ne cède pas rapidement dans les 24 ou 48 heures au traitement médical, bains de siège glacés, anti-inflammatoires locaux et généraux, et vasculotropes à hautes doses.
La ligature et la congélation contrôlée : la ligature élastique associée ou non à la cryothérapie paraît en la circonstance totalement contre-indiquée en raison des éventuelles complications douloureuses et hémorragiques.
3. - Le traitement chirurgical (tableau III) : Il est au cours de la grossesse exceptionnellement justifié. La chirurgie pédiculaire réglée par paquets séparés est la technique la plus couramment pratiquée. Elle comporte l'exérèse des paquets hémorroïdaires principaux avec ligature haute des pédicules vasculaires et conservation de larges ponts cutanéo-muqueux pour éviter les rétrécissements et conserver le maximum de sensibilité.
Une sphinctérotomie interne latérale ou postérieure avec ou sans anoplastie doit parfois compléter l'intervention (anus étroit, fissure associée…).
Les suites sont habituellement simples, peu douloureuses. La cicatrisation, sans séquelles, est obtenue en 4 à 6 semaines.
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- Hémorroïdes prolabées
en permanence et difficilement
réductibles (stade III ou IV). Thromboses circulaires prolabées irréductibles ou thromboses
Hémorroïdes associées à une fissure ou compliquées de phénomènes thrombotiques et inflammatoires récidivants (cryptites, papillites). Tous les échecs des traitements médicaux, médicamenteux
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Tableau III.
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m | Traitement médical : |
- Etats congestif et inflammatoire
- Manifestations hémorragiques - Thromboses |
- Règles hygiéno-diététiques
- Lutte contre les troubles du transit - Médications orales et locales |
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f | Traitement ambulatoire : |
- Hémorragies isolées, ne cédant
pas au traitement médical
- Thrombose hémorroïdaire externe localisée |
- Sclérose ou photocoagulation
- Thrombectomie |
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g | Traitement chirurgical |
- Prolapsus hémorroïdaire étranglé,
non calmé par le traitement médical |
g |
Conclusion
Il paraît donc essentiel d'avoir une attitude thérapeutique conservatrice au cours de la grossesse. La chirurgie de la maladie hémorroïdaire doit demeurer un traitement d'exception.
Dans le post-partum immédiat, les complications locales, notamment les thromboses, réagissent généralement très bien au seul traitement local et général anti-inflammatoire.
C'est dans les deux ou trois mois qui suivent l'accouchement que l'on pourra dresser un bilan exact de l'état des hémorroïdes et envisager des traitements plus actifs.
Ces traitements sont soit des thérapeutiques ambulatoires, soit la chirurgie qui demeure la solution radicale et définitive quand les indications sont parfaitement posées. Elle mettra surtout la femme à l'abri de nouvelles poussées aiguës lors de grossesses ultérieures éventuelles.
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