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Les fissures de l'anus posent deux problèmes pratiques importants, à la fois diagnostique et thérapeutique. Une des cause les plus fréquentes de la douleur anale, avec l'abcès anal, la thrombose du prolapsus (étranglement hémorroïdaire), c'est une des trois grandes urgences douloureuses de la proctologie.
Le diagnostic
Le diagnostic est généralement facile. Il repose sur la triade classique : douleur, contracture, ulcération.
Il doit donc être suspecté sur :
Le
caractère retardé de la douleur : celle-ci est
provoquée ou exacerbée par la selle ; elle est suivie
d'une rémission de quelques minutes et s'installe alors
souvent, très vive, durant des heures.
Son association
à la contracture sphinctérienne : cette contracture
n'est pas toujours manifeste, et peut manquer, ou en tous cas
être très discrète, à peine visible et
perceptible une fois sur deux.
Ce qui est essentiel, c'est qu'elle est déclenchée par la moindre tentative d'examen.
Il faut donc faire preuve de patience et de douceur pour gagner la confiance du malade.
Après avoir vérifié l'absence d'abcès par la vue et la palpation prudente à la marge, avec un doigtier en baudruche, il faut pratiquer bien souvent une anesthésie locale par attouchement de quelques gouttes de Xylocaïne à 5 %, ou plus volontiers une injection sous-fissuraire de 2 à 3 ml de Xylocaïne à 1 %. Souvent d'ailleurs, on doit faire une véritable anesthésie sphinctérienne qui permet de bien voir la fissure, maintenant parfaitement déplissée, et de poursuivre l'examen habituel : toucher anal et rectal, anuscopie.
Le diagnostic est évident lorsque l'on a découvert l'ulcération ou fissure proprement dite :
Il s'agit d'une excoriation ovalaire, en forme de raquette, s'effilant dans le canal anal vers la ligne pectinée. Elle est masquée fréquemment par une - marisque - dite sentinelle et présente souvent à son pôle profond une papille hypertrophiée.
Le siège le plus fréquent est postérieur. Il est parfois, surtout chez la femme, antérieur. Plus rarement latéral ou double, antérieur et postérieur. L'aspect des bords et du fond de la fissure est variable suivant les différents stades évolutifs :
Dans les
fissures jeunes : parfois saignantes, les bords sont nets et
fins, le fond est plan avec dans bien des cas une papille
hypertrophiée intracanalaire.
Dans les
fissures anciennes évoluées : les bords sont
scléreux, décollés, le fond est creusant, et
même strié transversalement par les fibres du sphincter
interne, reconnaissable par sa couleur blanc-nacré.
Dans les
fissures infectées : les bords sont largement suppurants
et décollés. L'aspect est celui d'une véritable
fistule anale, avec un abcès à la crypte.
Paradoxalement, l'examen est alors facile, car ces formes sont
souvent indolores et ne s'accompagnent pas de contracture.
La sémiologie clinique varie suivant le sexe.
Les fissures de la femme sont très souvent antérieures, rythmées par les épisodes de la vie génitale.
Chacun des trois éléments de la triade symptomatique : douleur, contracture et ulcération peuvent faire discuter le diagnostic de fissure :
La douleur
peut évoquer un état inflammatoire (cryptite,
papillite), une véritable névralgie ano-rectale,
parfois d'ailleurs associée, et alors poser des
problèmes thérapeutiques particuliers.
La contracture
doit être distinguée d'une sténose
bénigne congénitale, post-opératoire, ou
développée après abus de laxatifs, ou d'une
sténose maligne (cancer infiltrant).
Enfin,
l'ulcération elle-même peut prêter
à confusion.
Trois pièges à éviter : le cancer de l'anus, les ulcérations en rapport avec une MST, les rhagades pseudo-fissuraires :
Le cancer anal
à forme fissuraire que doivent faire suspecter l'induration
qui se prolonge en coulée dans le canal anal, l'atonie
sphinctérienne et la béance anale souvent
associées.
L'ulcération
vénérienne : essentiellement le chancre syphilitique.
Le siège latéral, l'induration et surtout
l'adénopathie unguinale constante facilitent le diagnostic.
Et aussi les
syphilides érosives multiples, plus souvent latérales,
suintantes, l'ulcération herpétique, le très
rare chancre mou.
Les rhagades
pseudo-fissuraires : érosions linéaires très
superficielles, à distance souvent de l'anus, dues au
grattage et liées à des affections dermatologiques
diverses, en particulier au prurit anal.
Il faut penser enfin aux ulcérations liées à un contexte particulier : ulcérations iatrogènes, ulcérations en rapport avec la maladie de Crohn, ulcérations anales d'une hémopathie, par déficit immunitaire, nécrosantes post-radiques, traumatiques, tuberculeuses exceptionnelles.
Attention aux fissures apparemment banales mais de siège latéral souvent suspect.
Etiopathogénie
Les fissures de l'anus semblent avoir essentiellement une explication d'ordre anatomo-clinique et anatomo-pathologique, la fissure apparaissant comme une véritable maladie de la muqueuse anale et du sphincter interne, objectivée histologiquement par l'existence d'une parakératose de la muqueuse et d'une fibromyosite du sphincter interne.
C'est pourquoi les événements obstétricaux n'ont la plupart du temps qu'un rôle partiel dans l'apparition d'une fissure liée essentiellement au terrain.
Par ailleurs, le spasme du sphincter interne joue un rôle, sinon dans le déclenchement, du moins dans le maintien de la fissure.
De nombreuses théories manométriques montrent en effet l'existence d'une hyperpression du canal anal par hypertonie du sphincter interne. C'est pourquoi d'ailleurs l'infiltration anesthésiante sous-fissuraire et sphinctérienne supprimant la contracture, c'est-à-dire le spasme, permet dans les fissures jeunes d'obtenir dans un certain nombre de cas une cicatrisation.
En fait, toutes ces théories étiopathogéniques ont leur part de vérité.
Aucune ne saurait être exclusive. Les fissures posent des problèmes multiples et complexes qu'il n'est guère possible d'expliquer par un processus unique mais qui, fait capital, ont tous en commun d'être conditionnés par la défécation.
Le traitement
1. - Le traitement médical
Il comporte :
La
régularisation du transit intestinal, en corrigeant la
diarrhée et surtout la constipation : les laxatifs irritants
seront supprimés et remplacés par des mucilages doux
associés à de l'huile de paraffine.
La lutte
contre la douleur et le spasme :
- bains de siège tièdes ou chauds, notamment
après la selle,
- antalgiques par voie générale, purs ou
associés à des décontracturants, des
anti-inflammatoires, ou même à des tranquillisants
à doses filées,
- attouchements avec un colorant aqueux (Eosine, Mercurochrome),
- suppositoires à effet topique muqueux, spasmolytiques
musculotropes et/ou anti-inflammatoires,
- les crèmes et pommades ne sont pas indiquées car
elles sont souvent mal supportées.
2. - Le traitement ambulatoire instrumental
C'est l'injection anesthésiante sous-fissuraire et intra-sphintérienne. Elle peut être indiquée dans toute les formes de fissures. Elle permet bien souvent d'obtenir un soulagement temporaire mais efficace. C'est le traitement essentiel chez la femme enceinte.
Technique
: on injecte 3 à 5 ml de Xylocaïne à 1 ou 2 %
sans adrénaline avec une aiguille longue et fine 25-6/10e,
sous le plancher de la fissure et profondément ensuite en
éventail, de façon traçante à droite et
à gauche, en plein sphincter strié.
Le risque septique, si minime soit-il, contre-indique l'injection sclérosante sous-fissuraire complémentaire, d'autant qu'elle n'apporte aucun avantage particulier.
3. - Le traitement chirurgical
Longtemps empirique, le traitement chirurgical s'est enrichi dans ces trente dernières années de techniques parfaitement codifiées qui ont grandement bénéficié des progrès réalisés dans la connaissance et l'étiopathogénie des fissures.
La dilatation anale à l'aveugle, longtemps pratiquée par les chirurgiens et remise à l'honneur en Grande-Bretagne, est toutefois grevée d'échecs et de séquelles fonctionnelles non négligeables. Elle doit être abandonnée.
La sphinctérotomie interne permet actuellement d'espérer dans tous les cas des résultats définitifs :
Sphinctérotomie
interne postérieure
Sous anesthésie le plus souvent loco-régionale après dilatation modérée, on résèque la fissure et on pratique une léiomyotomie ou section partielle, progressive et modérée du sphincter interne lisse pour obtenir une bonne détente anale. On complète par une anoplastie muqueuse, c'est-à-dire une mobilisation de la muqueuse rectale que l'on abaisse de manière à la fixer non à la peau mais aux extrémités du sphincter interne sectionné par quelques points de vicryl 00. Si le sphincter interne est lâche, ténu, il n'est d'ailleurs pas toujours indispensable de le sectionner.
On enlève souvent en même temps la papille hypertrophiée très inflammatoire située au niveau de la ligne pectinée, au pôle profond de la fissure.
Lorsque la fissure est antérieure, celle-ci est réséquée isolément, mais si elles sont indiquées la léiomyotomie et l'anoplastie seront toujours postérieures. Il en est de même pour les fissures latérales ou doubles.
On réalise ainsi une véritable plastie muqueuse dans
le double but :
- de diminuer la surface de la plaie sur son versant muqueux,
- d'apporter dans le canal anal un tissu élastique et solide
qui contribuera à donner un bon plancher anal, une meilleure
souplesse.
Sphinctérotomie
interne latérale de 3 heures (position opératoire en
décubitus dorsal)
Elle est réalisable sous simple anesthésie locale. On sectionne le sphincter interne de son bord inférieur à la ligne pectinée et on néglige la fissure proprement dite et les formations parafissuraires.
Cette méthode peut être suffisante dans les fissures jeunes ; elle est intéressante en particulier dans les fissures hyperalgiques de la femme enceinte. Elle n'est pas valable dans les fissures anciennes ou infectée.
Indications thérapeutiques
Les fissures
superficielles, ou fissurettes, les fissures jeunes relèvent
le plus souvent du seul traitement médical associant la lutte
contre la constipation et une infiltration anesthésiante
sous-fissuraire. Elles peuvent justifier parfois une
sphinctérotomie interne latérale.
Les fissures
jeunes, rebelles au traitement médical, les fissures anciennes
évoluées relèvent de l'intervention chirurgicale
sous anesthésie générale ou
loco-régionale, avec de préférence une
sphinctérotomie interne postérieure et anoplastie
muqueuse.
Les fissures
infectées fistulisées justifient la résection au
bistouri électrique comme pour les fistules de l'anus, avec
dans tous les cas la sphinctérotomie interne mais sans
anoplastie muqueuse.
Conclusion
La fissure anale fait partie d'un syndrome bien défini qui lui donne une véritable autonomie clinique et étiopathologique.
Cette affection soulève un problème à la fois diagnostique et thérapeutique : il faut savoir la séparer d'autre lésions parfois graves dont la méconnaissance peut être lourde de conséquences, et adapter un traitement approprié à chaque cas et surtout à chaque stade évolutif.
On ne saurait trop insister sur le rôle important du traitement médical, notamment en cours de grossesse, et sur l'efficacité du traitement chirurgical dont l'indication bien posée ne devra jamais être différée, en particulier dans le post-partum immédiat ou à court ou moyen terme.
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Traitement médical : |
Résection chirurgicale avec sphinctérotomie interne latérale ou sphinctérotomie interne postérieure avec ou sans anoplastie muqueuse. |
Résection chirurgicale avec sphinctérotomie interne sans anoplastie muqueuse. |
Fig. 1 : Fissure jeune. |
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Fig. 2 : Fissure ancienne. Noter les fibres du sphincter interne parfaitement visibles. |
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Fig. 3 : Fissure ancienne avec papilles hypertrophiées à son pôle profond. |
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Fig. 4 : Fissure infectée. Noter la papille hypertrophiée procidente. |
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Fig. 5 : Infiltration sphinctérienne anesthésiante. Noter les différentes positions de l'aiguille. |
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Fig. 6 : Fissurectomie postérieure, tracé de l'incision cutanéo-muqueuse au pôle postérieur de l'anus. |
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Fig. 7 : Décollement du lambeau et section partielle du sphincter interne (sphinctérotomie). |
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Fig. 8 : Abaissement de la muqueuse rectale décollée. Fixation au niveau du sphincter interne sectionné (anoplastie muqueuse). |
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Fig. 9 : Abaissement de la muqueuse rectale décollée. Fixation au niveau du sphincter interne sectionné (anoplastie muqueuse). |
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Fig. 10 : Tracé de l'incision cutanée. |
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Fig. 11 : Section du sphincter interne jusqu'à la ligne pectinée. |
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