CHAPITRE 4
O2 et CO2 sanguins


2. Equilibre acide-base et contrôle du pH sanguin

2.1. Généralités, pH et tampons sanguins

2.2. Le tampon bicarbonate sanguin

2.3. Acidoses et alcaloses

2.3.1. Acidoses et alcaloses métaboliques

2.3.2. Acidoses et alcaloses gazeuses

2.1. Généralités, pH et tampons sanguins

La présence de CO2 dans le sang est une des résultantes essentielles de l'activité métabolique cellulaire. De cette activité résulte par ailleurs une production de H+ et d'acides non négligeable, largement suffisante pour faire descendre le pH sanguin à des valeurs rapidement incompatibles avec la survie cellulaire si le sang n'était pas tamponné.

Mis à part quelques organismes dits extrêmophiles chez lesquels le pH sanguin et/ou intracellulaire peut varier relativement largement, les limites de pH sanguin compatibles avec la vie sont assez étroites, allant d'environ 7 à 7,8; ce qui représente une variation en ions H+ de 10-7 à 1,56.10-8 Eq/l. Le sang peut être maintenu dans ces limites de pH grâce à : 1) des systèmes tampons efficaces, 2) des mécanismes permettant une élimination des protons et des acides produits.

L'élimination des H+ est essentiellement assurée par les systèmes rénaux, alors que les squelettes hydrocarbonés des acides peuvent être soit métabolisés, soit éliminés par le rein (voir chapitres 3 et 6, et surtout livre 2, physiologie cellulaire). Ces processus sont relativement lents et les systèmes tampons sont essentiels au maintien du pH, surtout en cas de variation d'apport acide brusque et importante (acide lactique au cours d'un exercice par exemple). L'excrétion rénale est cependant absolument nécessaire. Si elle n'existait pas, l'apport de H+ aurait pour résultat une diminution progressive du pouvoir tampon et en fin de compte du pH. Tout ion H+ ajouté au sang doit donc en être éliminé pour que le système reste en équilibre.

Indépendamment de son rôle dans le cadre des activités métaboliques, le pouvoir tampon du sang va intervenir, par exemple, pour minimiser les conséquences d'une ingestion accidentelle d'acide ou encore, chez de nombreuses espèces aquatiques, pour minimiser les conséquences d'une variation de pH du milieu extérieur (pluies acides, etc... voir livre 3 : écophysiologie).

Le CO2 résultant comme les ions H+ de l'activité métabolique, va intervenir largement dans le pouvoir tampon du sang. En solution aqueuse, il se combine en effet à l'eau pour former un acide et former un couple tampon:

Ce système joue un rôle important dans l'établissement du pouvoir tampon global du sang et dans le contrôle de son pH (équilibre acide-base). Chez les mammifères par exemple, on peut estimer que 55 % environ du pouvoir tampon sont dus au système bicarbonate.

Il est intéressant de remarquer dans ce cadre qu'une petite partie seulement du CO2 sanguin participe aux échanges gazeux. La majeure partie du CO2 reste en permanence dans le sang où son rôle principal est de servir de système tampon. Chez un mammifère par exemple, le sang veineux arrivant aux poumons contient environ 550 cm3 de CO2 par litre avec une pression partielle de 46 mmHg. A la sortie des poumons, le sang oxygéné contient encore 500 cm3 de CO2 par litre à une pression partielle de 40 mmHg (voir chapitre 3). L'échange de CO2 au niveau pulmonaire ne porte donc que sur une petite partie de la teneur totale (±10 %).

A coté du système bicarbonate, on trouve encore:

1) le système hémoglobine, intervenant pour environ 40 % dans le pouvoir tampon total :

     ou     

L'essentiel du pouvoir tampon de l'hémoglobine aux pHs physiologiques provient de la dissociation des groupes imidazoles de l'histidine (33 molécules d'histidine par molécule d'hémoglobine chez l'homme).

2) les protéines plasmatiques et les phosphates inorganiques qui interviennent pour les 5 % restants:

2.2. Le tampon bicarbonate sanguin

Comme nous l'avons signalé dans la section précédente, le système tampon bicarbonate est le plus important de ceux intervenant dans le pouvoir tampon du sang. De plus, à l'inverse des autres systèmes, il présente l'avantage important de pouvoir fonctionner en système ouvert, les concentrations en base et en acide pouvant être régulées par contrôle de leur excrétion (CO2 par voie respiratoire et HCO3 - par voie rénale).

Envisageons pour illustrer ce point le rôle du tampon bicarbonate et ses rapports avec la respiration chez l'homme.

Le pH est déterminé par l'équation d'Henderson-Hasselbalch:

Son application au système bicarbonate donne:

ou encore, considérant que H2CO3 = CO2 + H2O:

Si nous considérons une concentration en HCO3- chez l'homme de 24 mmoles/l et une concentration en CO2 de 1,2 mmoles/l, nous obtenons:

Supposons maintenant un apport de 2 mmoles/l de H+:

En système fermé, la concentration de HCO3- devient donc 24-2 = 22 mM et la concentration en CO2 1,2+2 = 3,3 mM, d'où le pH:

En système ouvert, et en ne considérant que l'élimination du CO2 en excès par voie respiratoire, nous obtenons:

Nous pouvons par ailleurs considérer une régulation de la quantité de HCO3 - au niveau rénal qui limitera encore la variation de pH. Ces calculs ne sont évidemment qu'exemplatifs. Ils illustrent toutefois clairement le fait qu'en système ouvert, le tampon bicarbonate du sang est nettement plus efficace qu'en système fermé. L'élimination du CO2 en excès par voie respiratoire est particulièrement intéressante à considérer; elle ne représente en effet qu'une variation à peine significative de l'échange gazeux normal. Dans le cadre d'une activité métabolique normale on peut en effet estimer, chez l'homme par exemple, une production d'acide de ±60 mmoles et une élimination de CO2 de ±2.104 mmoles par jour. Si la production d'acide double, elle n'induira jamais que la production de 60 mmoles de CO2 supplémentaires, soit quelque 0,3 % du CO2 rejeté normalement.

La respiration devient donc un élément important du contrôle de l'équilibre acide/base du sang. Elle peut aussi en être un élément perturbateur. En effet, une hyperventilation va induire une diminution de PCO2 et donc de concentration en H2CO3; ce qui déterminera une augmentation de pH sanguin: une alcalose. A l'inverse, une hypoventilation déterminera une augmentation de PCO2 et donc une acidose.

2.3. Acidoses et alcaloses

Il faut distinguer dans ce cadre les acidoses et alcaloses gazeuses des acidoses et alcaloses métaboliques. Les premières sont en rapport avec les variations primitives de PCO2 que peuvent induire les modifications de l'activité respiratoire. Les secondes sont, elles, en rapport avec des variations de concentrations en ions H+ et/ou HCO3-.

2.3.1. Acidoses et alcaloses métaboliques
Les acidoses métaboliques peuvent par exemple être dues : à l'ingestion d'acide, à une diminution du pH du milieu extérieur pour les animaux aquatiques, à un exercice important (H+, acide lactique), au jeune prolongé qui peut amener une production d'acides cétoniques ou encore à des modifications d'activité de transport de H+ et/ou de HCO3- (défaillance rénale avec diminution d'excrétion de H+, problèmes intestinaux tels que diarrhée importante avec diminution de l'entrée de HCO3-). Dans ce cadre, notons également l'acidose temporaire qui accompagne l'adaptation à un milieu concentré chez les poissons euryhalins. Cette acidose serait à mettre en rapport avec le changement d'activité, en rapport avec l'osmorégulation, des transporteurs branchiaux et intestinaux Na+/H+ et Cl-/HCO3-.

La régulation de ces acidoses implique une hyperventilation pour abaisser la PCO2 sanguine et une augmentation de l'excrétion de H+.

Les alcaloses métaboliques sont rares, essentiellement en rapport avec l'ingestion accidentelle d'alcalis. Le passage en milieu dilué chez de nombreuses espèces euryhalines s'accompagne d'une légère alcalose transitoire qui pourrait être en rapport avec des ajustements d'activité de transporteurs Na+/H et Cl-/HCO3 - ainsi qu'avec une augmentation d'activité de désamination et, concomitamment, de production de NH4+ au niveau sanguin.

La régulation de ces alcaloses implique une diminution de l'excrétion de H+ et dans le cas d'ingestion accidentelle, l'excrétion de la base ingérée.

2.3.2. Acidoses et alcaloses gazeuses
Les acidoses gazeuses sont dues à un défaut d'élimination de CO2 par voie respiratoire. On les appelle également dans ce cadre hypercapniques puisqu'elles sont dues à une augmentation de la PCO2 sanguine. Des conditions typiques d'acidose gazeuse sont par exemple l'incursion en milieu terrestre pour les animaux aquatiques à respiration bimodale, la plongée en apnée pour les vertébrés à respiration aérienne, l'insuffisance respiratoire due à certaines affections (bronchite, emphysème, par exemple). La régulation des acidoses gazeuses implique une augmentation de la ventilation lorsque celle-ci est possible et une augmentation de l'excrétion de H+ au niveau rénal. La régulation d'une acidose par ce moyen induit la formation d'une urine acide et chargée en ions ammonium (voir livre 2, physiologie cellulaire).

Les alcaloses gazeuses aussi appelées hypocapniques sont, à l'inverse des acidoses gazeuses, dues à une diminution de PCO2 occasionnée par hyperventilation. Une alcalose de ce type peut par exemple apparaître à haute altitude, où le manque d'oxygène induit une hyperventilation, lors d'un discours long parlé d'une voix forte, lorsque l'on parle en courant. Parler coupe en effet le rythme ventilatoire et les périodes de paroles sont suivies de périodes d'hyperventilation. Le ronronnement prolongé (chat par exemple) peut également provoquer une alcalose. Le "ronron" résulte en fait de l'activation de muscles du larynx à une certaine fréquence (20 à 30 Hz) avec hyperventilation. La fréquence ventilatoire peut augmenter de 70 % sans variation notable du volume tidal; il en résulte une hyperventilation génératrice d'alcalose. A l'inverse, le halètement chez le chien, bien qu'impliquant une notable augmentation de fréquence respiratoire, se fait sans hyperventilation marquée puisqu'il y a diminution du volume tidal.

La régulation de ces alcaloses intervient par diminution de la fréquence respiratoire et production d'une urine alcaline (élimination de l'excès de HCO3- par voie rénale, voir physiologie cellulaire).


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