CHAPITRE 5
Alimentation


3. Les apports symbiotiques de nutriments

3.1. Généralités

3.2. Symbiotes intracellulaires et coelomiques

3.3. Symbiotes du tube digestif

3.3.1. Digestion de la cire d'abeille

3.3.2. Digestion de la cellulose

a. chez les invertébrés
b. chez les vertébrés

1. Stockage gastrique et rumination
2. La coprophagie

3.1. Généralités

Le tube digestif des eukaryotes abrite généralement des micro-organismes qui vont contribuer de façon plus ou moins significative, par leurs activités métaboliques, à la fourniture de nutriments directement utilisables. Ainsi par exemple, on peut dénombrer dans les fèces chez l'homme plus de 400 espèces de bactéries appartenant à dix genres différents. Dans de nombreux cas, la participation des micro-organismes à la nutrition n'est pas fortuite mais s'inscrit dans le cadre d'une organisation symbiotique spécifique. Dans ces conditions, les apports sont loin d'être négligeables; souvent même, ils sont essentiels à la survie de l'hôte.

Les micro-organismes symbiotiques seront, selon les cas, intracellulaires ou extracellulaires, logés dans différentes parties du tube digestif ou dans des cavités cœlomiques.

3.2. Symbiotes intracellulaires et cœlomiques

Différents invertébrés, allant des cœlentérés aux mollusques, hébergent dans certaines cellules des algues vertes (zoochorelles) ou brunes (zooxanthelles). A la lumière, ces algues produisent à partir d'unités C-1 fournies par l'hôte, des sucres simples dont il bénéficie (tableau 5-2). Le bénéfice peut être substantiel. On a ainsi pu calculer que l'hydre verte détourne à son profit près de 50 % du carbone fixé par photosynthèse par l'algue qu'elle héberge. Chez les cœlentérés marins, il semblerait même que la production carbonée des algues symbiotiques puisse couvrir l’essentiel des besoins du métabolisme de base (Muscatine, 1990).

TABLEAU 5-2
Algues symbiotiques intracellulaires et produits fournis à l'hôte

Algue Hôte   Composé fourni
Zoochorelle Paramecium bursaria Protozoaire Maltose
Spongilla lacustris Glucose
Chlorohydra viridissima Cœlentéré Maltose
Convoluta roscoffensis Plathelminthe Glucose
Placobranchus ianthobapsus Mollusque inconnu
Tridacna crispata inconnu
Zooxanthelle Aiptasia pulchella Cœlentéré Glycérol
Anthopleura elegantissima Glycérol
Fungia scrutaria Glycérol
Pocillopora damicornis Glycérol
Zoanthus confertus Glycérol
Tridacna crocea Mollusque Glycérol

 
On peut inscrire dans un cadre semblable le cas de certains invertébrés de grandes profondeurs vivant près des cassures tectoniques (rifts). La découverte de ces espèces est assez récente, datant des années 80. Les bactéries impliquées ici sont capables d'utiliser l'énergie fournie par oxydation du H2S et des sulfates qui abondent dans les sources d'eau chaude fréquentes au niveau de ces cassures. L'énergie d'oxydation obtenue sert à phosphoryler de l'ADP en ATP qui lui-même interviendra dans la synthèse de différents composés à partir d'unités C-1. Le cas le mieux étudié à l'heure actuelle est celui du pogonophore des Galapagos (Riftia pachyptila) qui peut atteindre des dimensions respectables de plus d'un mètre ! Ce pogonophore se développe avec toute une faune extrêmement particulière basée sur la production bactérienne importante au niveau des sources sulfureuses sous-marines. Chez cette espèce, la cavité cœlomique est presque entièrement occupée par de larges poches (trophosomes) bourrées de bactéries faisant de l'ATP et fixant du CO2.

3.3. Symbiotes du tube digestif

Les micro-organismes se trouvent dans ce cas à différents niveaux du tube digestif soit estomac ou poches stomacales, soit intestin ou cæca intestinaux. Ils participent ici à la digestion des aliments ingérés, fournissant à l'hôte des produits de dégradation de ces aliments (figure 5-14). Par ailleurs, ils servent eux-mêmes de source alimentaire. Dans certains cas, la nutrition repose exclusivement ou presque exclusivement sur l'activité des micro-organismes hébergés, l'hôte n'ayant pas les enzymes digestives adaptées à sa nourriture essentielle ou n'en ayant qu'une partie ou encore n'en disposant qu'en quantité insuffisante. Le rôle des symbiotes du tube digestif est parfaitement illustré par deux exemples : celui de la digestion de la cire d'abeille par les oiseaux de la famille des indicatoridæ et celui de la digestion de la cellulose par les espèces végétariennes et xylophages.

Figure 5-14

Figure 5-14: La dégradation anaérobie de la cellulose et ses produits terminaux par les micro-organismes du tube digestif de différents herbivores.

3.3.1. Digestion de la cire d'abeille
Le premier animal reconnu pour se nourrir de la cire des nids d'abeille fut la larve du papillon Galleria mellonella, dans les années 1920. Curieusement, on ne sait toujours pas exactement à l'heure actuelle quels composants de la cire la chenille utilise et comment elle les digère.

La situation est plus claire en ce qui concerne les oiseaux africains formant le groupe des indicatoridæ. Ces oiseaux sont connus pour se nourrir de la cire des nids d'abeille vers lesquels ils guident les personnes qui les suivent, d'où leur nom anglais de "honey guide". La cire est chez eux digérée par des micro-organismes vivant dans l'intestin. Il s'agit pour l'essentiel d'une bactérie (Micrococcus cerolyticus) et d'une levure (Candida albicans). On a pu nourrir des poulets de cire d'abeille après avoir inoculer dans leur tube digestif les micro-organismes qu'héberge l'intestin des indicatoridæ.

3.3.2. Digestion de la cellulose
La cellulose est le polysaccharide de structure majeur des parois cellulaires végétales. C'est donc un constituant important de l'alimentation chez de très nombreuses espèces, tout particulièrement les herbivores et les xylophages. Chez ces espèces, différents micro-organismes vont intervenir, de façon plus ou moins importante, dans la digestion de la cellulose. Ils sont essentiellement anaérobies et fournissent à l'hôte des acides, produits du métabolisme oxydatif anaérobie du glucose provenant de l'hydrolyse de la cellulose (figure 5-14). Il y aura également production de gaz, essentiellement méthane et CO2, le méthane paraissant provenir largement de la réduction du CO2.

a. chez les invertébrés
Dans la plupart des groupes, on trouve des cellulases endogènes dont l'activité est souvent assez faible et ne permet qu'une digestion très partielle de la cellulose. On estime ainsi par exemple que le ver à soie ne digère que quelque 25 % de la cellulose qu'il ingère. Ce n'est cependant pas toujours le cas. Ainsi, chez Cténolepisma lineata, un lépisme se nourrissant de feuilles d'eucalyptus, on estime que près de 80 % de la cellulose ingérée au cours d'un repas sont digérés par des cellulases uniquement endogènes. En général cependant, la plupart des espèces digérant bien la cellulose hébergent des micro-organismes dont la contribution est importante. Chez les insectes xylophages, il s'agit essentiellement de flagellés que l'on peut souvent transplanter d'une espèce à l'autre avec succès. Ainsi par exemple le blattidæ xylophage Cryptocercus punctulatus contient au niveau du proctodeum des flagellés symbiotiques qui assurent la digestion de l'essentiel de la cellulose ingérée. Ces protozoaires peuvent être inoculés dans le tube digestif du termite Zootermopsis sp. sans aucun problème. Chez les termites inférieurs, généralement xylophages, on a dénombré quelque 45 espèces différentes de flagellés symbiotiques, l'espèce la plus généralement répandue étant Trichomitopsis termopsis. Chez ces termites, la contribution des micro-organismes à la digestion de la cellulose est essentielle; ils meurent de faim une fois la faune intestinale tuée. De nombreux termites supérieurs ne sont pas xylophages mais herbivores. Chez eux, la participation de cellulases exogènes est moins importante et on ne trouve que peu de flagellés symbiotiques. L'activité cellulolytique endogène est en général assez élevée pour digérer une partie suffisante de la cellulose ingérée. Certaines espèces comme Macrotermes natalensis trouvent par ailleurs des cellulases exogènes dans une variété de champignon qu'elles cultivent.

b. chez les vertébrés
Les vertébrés paraissent incapables de produire des cellulases. Les micro-organismes cellulolytiques apparaissent donc comme un élément essentiel du système de digestion de la cellulose chez tous les vertébrés et tout particulièrement chez les herbivores.

On trouve en fait des bactéries et des protozoaires symbiotiques produisant des cellulases pratiquement dans toutes les parties du tube digestif. Leur concentration ne devient cependant importante et donc significative dans le cadre de la digestion, que dans l'estomac et dans l'intestin. Dans la plupart des cas, les micro-organismes se trouvent en abondance uniquement dans la lumière intestinale ainsi que dans des cæca et diverticules de la partie postérieure de l'intestin. Cette disposition prévaut des poissons aux oiseaux ainsi que chez de nombreux mammifères, y compris l'homme et les primates. La localisation postérieure du site de digestion et la vitesse du transit intestinal diminue souvent largement le rendement de la digestion.

Chez différentes espèces, le système est rendu plus efficace par recyclage; les fèces sont en fait réabsorbées, ce qui permet de soumettre les matières mal digérées à une nouvelle attaque bactérienne. La coprophagie est ainsi largement pratiquée depuis les poissons jusqu'aux mammifères. Chez différents mammifères, le rendement est amélioré en reportant la digestion plus haut dans le tube digestif. Chez ces espèces, l'estomac et/ou l'œsophage présentent de larges poches bourrées de micro-organismes cellulolytiques. Ces poches permettent par ailleurs un stockage de longue durée, ce qui augmente encore le rendement de la digestion. Chez certaines espèces telles que les bovidés, le rendement est encore amélioré par rumination.

1. Stockage gastrique et rumination
La digestion de la cellulose avec stockage gastrique paraît limitée à certains mammifères herbivores : tous les ruminants, certains singes, les kangourous, les paresseux, les dugongs, l'hippopotame ainsi que certains rongeurs comme le hamster ou le rat de Gambie. Chez toutes ces espèces, l'estomac est volumineux avec une partie antérieure compartimentée en poches bourrées de bactéries, de phycomycètes et de protozoaires qui peuvent digérer la cellulose et d'autres matériaux végétaux qui s'y accumulent. Le poids du contenu stomacal est en général considérable, variant le plus souvent entre 10 et 25 % du poids de l'animal.

Chez les ruminants (chameaux, cerfs, bovidés, antilopes, moutons, chèvres, girafes), la digestion des matières végétales est aidée par une régurgitation périodique du contenu de la partie antérieure de l'estomac; ce qui permet aux animaux de mâcher une nouvelle fois les fibres végétales pour les rendre plus accessibles aux attaques des micro-organismes.

L'estomac des ruminants se subdivise en deux compartiments principaux séparés par une constriction transversale : l'estomac antérieur qui n'est en fait constitué que de chambres d'origine œsophagienne et l'estomac postérieur, seul glandulaire, comparable à l'estomac classique des mammifères. On compte ainsi un total de 4 poches ( figure 5-15).

Le rumen (panse) est la poche la plus volumineuse, représentant ± 80 % du volume total de l'estomac qui est de ± 250 l chez la vache.

Le reticulum (bonnet) est la plus antérieure et la plus petite, ne représentant que ± 5 % du volume gastrique total (± 15 l chez la vache).

L'omassum (feuillet), troisième poche œsophagienne d'un volume de ± 8 % du volume total de l'estomac (± 20 l chez la vache).

L'abomassum (caillette) représente l'estomac classique des autres mammifères. Son volume est égal à celui de l'omassum (± 20 l chez la vache). C'est à ce niveau qu'a lieu la sécrétion de HCl et de pepsinogène et la première attaque acide des protéines.

Figure 5-15

Figure 5-15: L'estomac d'un ruminant (la vache) avec 3 poches d'origine œsophagienne (panse, bonnet, feuillet) et une poche (caillette) représentant l'estomac classique des mammifères. Remarquez la place importante occupée par l'estomac dans l'animal.

Le rumen et le reticulum renferment une véritable culture de micro-organismes anaérobies parmi lesquels de nombreuses bactéries (tableau 5-3), des champignons inférieurs et des protozoaires ciliés appartenant à deux familles essentiellement : les isotrichidæ et les orphryoscolecidæ. Leur concentration varie entre 105 et 1010 individus/ml (soit ± 2 à 4 kg chez la vache par exemple). Comme l'indique le tableau 5-3 et la figure 5-14, les micro-organismes peuvent digérer de nombreux produits végétaux et produire, suite à fermentation, une série d'acides gras volatils, du méthane et du CO2 en proportions variables en fonction du type de nourriture et des types de micro-organismes prédominants. En général, chez la vache, la concentration en acides gras volatiles atteint 100 à 150 mmoles/l alors que la production de CH4 et de CO2 peut atteindre 1500 à 2000 l/jour. L'essentiel du méthane et du CO2 sont éliminés par éructation; ce qui aide à la rumination. Une bonne part des acides gras volatiles est absorbée directement au niveau des poches œsophagiennes dont le pH est tamponné à des valeurs voisines de la neutralité par une abondante production de salive (200 l/jour chez la vache) riche en bicarbonates (pH 8,5). Le reste passe dans l'abomassum puis, après attaque acide des protéines, passe dans l'intestin au niveau duquel ont lieu les autres séquences de la digestion, comme chez tous les mammifères.

TABLEAU 5-3
Quelques bactéries de l'estomac des ruminants et leurs fonctions

Espèces Fonctions
Bacteroides succinogenes C, A
Ruminococcus albus C, X
Ruminococcus flavefaciens C, X
Butyrivibrio fibrisolvens C, X, PR
Clostridium lochheadii C, PR
Streptococcus bovis A, SS, PR
Bacteroides amylophilus A, P, PR
Bacteroides ruminicola A, X, P, PR
Succinimonas amylolytica A, D
Selenomonas ruminantium A, SS, GU, LU, PR
Lachnospira multiparus P, PR, A
Succinivibrio dextrinosolvens P, D
Methanobrevibacter ruminantium M, HU
Methanosarcina barken M, HU
Spirochete sp. P, SS
Megasphæra elsderii SS, LU
Lactobacillus sp. SS
Anærovibrio lipolytica L, GU
Eubacterium ruminantium SS
A: amylolytique, C: cellulolytique, D: dextrinolytique, GU: utilisant le glycérol, HU: utilisant l'hydrogène, L: lipolytique, LU: utilisant le lactate, M: méthanogène, P: pectinolytique, PR: protéolytique, SS: utilisant des sucres, X: xylanolytique.

Il faut par ailleurs considérer que les micro-organismes passant dans l'abomassum constituent un appoint nutritionnel non négligeable pour les ruminants. Ils procurent en effet à leur hôte bon nombre de composés azotés (protéines et autres) ainsi que différents composés essentiels qu'ils synthétisent. On estime ainsi que chez la vache ± 70 % des 2 à 4 kg de micro-organismes sont digérés par jour, fournissant, entre autres, plus de 100 g de protéines. Si les micro-organismes fournissent à l'hôte une quantité notable de composés azotés, l'hôte fournit en retour aux micro-organismes une bonne part des groupements NH2 nécessaires à la synthèse de ces composés. La vache récupère en fait sous forme d'urée une bonne part des groupements NH2 provenant de son propre métabolisme protéique (cfr. chapitre 6). Elle récupère de même l'ammoniac provenant de l'activité bactérienne sur le bol alimentaire. L'urée ainsi produite est injectée dans le tube digestif avec la salive. Une partie importante de l'azote est ainsi recyclée : ce qui permet aux ruminants d'assurer sans trop de problèmes une balance azotée correcte alors que leur régime alimentaire peut être pauvre en produits azotés.

2. La coprophagie
L'ingestion des fèces est d'importance au plan nutritionnel pour bon nombre d'espèces, des poissons aux mammifères. L'autocoprophagie est cependant relativement rare. Dans la plupart des cas, les animaux mangent les fèces d'autres espèces (herbivores mangeant les fèces de carnivores par exemple), ce qui leurs procurent des nutriments particuliers. Ce type de coprophagie peut être observé chez des espèces telles que chien, chat ou cheval lorsque le régime alimentaire est mal équilibré. L'autocoprophagie est pratiquée par de nombreux rongeurs (lapin, castor, écureuil, chinchilla) ainsi que par certains lémuriens (opossum et koala). Chez ces espèces, essentiellement herbivores, la digestion de la cellulose a lieu dans l'intestin; une situation anatomique moins avantageuse que celle des ruminants et qui donne un rendement moins élevé, compensé par réingestion immédiate de fèces particulières (cœcotrophes). Ces fèces ont la même composition que le bol alimentaire se trouvant dans l'intestin et contiennent donc tous les micro-organismes s'y trouvant. Les cœcotrophes sont toujours expulsées séparément des autres fèces et sont nettement plus molles, ne subissant que peu de réabsorption d'eau. Elles sont avalées telles quelles sans être mastiquées et stockées dans une poche antérieure (non acide) de l'estomac (figure 5-16), où les attaques des micro-organismes peuvent continuer. Ce comportement permet une nette amélioration du rendement de la digestion de la cellulose. Il permet par ailleurs un gain en composés azotés et en certains nutriments essentiels que procurent les micro-organismes lorsqu'ils sont eux-mêmes digérés.

 
Figure 5-16
 
 
Figure 5-16: La coprophagie chez le lapin : les fèces réingérées sont stockées dans une poche antérieure de l'estomac où la digestion des fibres végétales entamées dans l'intestin par les micro-organismes peut continuer.
 

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