CONDUITE A TENIR DEVANT UNE EPAULE DOULOUREUSE |
I. INTRODUCTION
En effet, deux données anatomiques viennent élargir le champ des scapulalgies.
La première est dordre articulaire car les mouvements de lépaule intéressent lacromioclaviculaire et la sternoclaviculaire en plus de la glénohumérale et des atteintes de ces deux articulations peuvent retentir au niveau scapulaire.
La seconde est dordre neurologique. Le métamère sensitif de lépaule est C5-C6 et celui-ci se recoupe avec celui du nerf phrénique (C3-C4-(C5)) expliquant certaines irradiations aberrantes des atteintes organiques.
II. Savoir examiner une scapulalgie
- Les caractéristiques de la scapulalgie
la topographie et surtout ses irradiations
surtout brachiale (volontiers radiale)
parfois aberrante : fosses sous-épineuses, pointe de lomoplate, sternale etc...)
le caractère mécanique ou inflammatoire et le contexte général
lintensité
lancienneté et le mode évolutif : aigu, progressif, intermittent, déclenché par des mouvements, la prise alimentaire etc...
- Les antécédents
traumatiques ou micro-traumatiques
les injections intra ou péri-articulaires
les maladies reconnues de type rhumatismal (autre localisation articulaire) ou de type lésions dorganes (coeur, vésicule biliaire etc...).
Il comporte un temps systématique de débrouillage qui doit permettre dorienter le diagnostic, puis un temps de manoeuvre plus orientée.
1. Lexamen de débrouillage
Il est réalisé patient torse nu. Linspection recherchera une asymétrie et on demandera au patient de préciser avec son index controlatéral le siège et les irradiations de la douleur. Puis, on étudiera la mobilisation en trois temps.
Les mouvements scapulaires : ils vont explorer les articulations, rechercher des lésions tendineuses de la coiffe des rotateurs et dépister éventuellement une paralysie dun des nerfs assurant la motricité de latriculation.
On mesurera la mobilité passive de
lépaule et on notera les éventuelles limitations par
rapport au côté controlatéral de lantépulsion, des
rotations ou de labduction. On demandera ensuite au patient
de réaliser activement une abduction, des rotations et une
antepulsion. On note la douleur décrite et surtout
léventuelle limitation. La recherche passive et active de
ces mouvements se recherche suivant une methodologie précise:
Lélévation du bras : elle se réalise dans le plan saggital (antepulsion à 180°) puis frontal abduction (80°). Lexaminateur étudiera passivement les mouvements. Si lactif est impossible ou limité, il recherchera alors le ou les arcs douloureux en notant langulation dapparition.
La rotation externe : elle se recherche passivement, le patiente coude au corps sur la ligne axillaire moyenne. Elle est denviron 80°. On notera alors sa limitation éventuellement douloureuse. Lexploration active consiste à placer passivement lépaule à 80° et à demander au patient de garder lattitude : le retour à la position de repos en " battant de porte de saloon " signe une atteinte de la coiffe soit dégénérative, soit nerveuse (paralysie du nerf sus scapulaire).
La rotation interne seffectue passivement en cherchant à mettre le poignet dans le dos du patient (celle-ci est de 90°). Sa limitation assez rare se mesure en notant la position extrême du poignet (poignet EIAS, poignet EIPS, poignet D12..D4.)
Les contractions isométriques : elles terminent lexamen de débrouillage et sont indispensables pour explorer les 6 groupes agonistes de lépaule
Abduction contrariée
manoeuvre de Job: elle consiste à demander au patient de résister à une pression réalisée par lexaminateur au niveau des coudes du patient; celui-ci maintenant ses bras en abduction à 90° lavant bras en suppination. La douleur au niveau de lépaule signe une souffrance tendineuse tandis que limpossibilité de tenir la position fait suspecter une rupture du tendon du sus épineux.
palm-up test: ellle consiste à demander au patient de réaliser une antepulsion à 90°, en pronation.Un appui sur la face anterieur des poignets est alors réalisé par lexaminateur. La douleur à lépaule (mais aussi dans le bras) fait suspecter une tendinite du long biceps tandis que limpossibilité de tenir la position fait évoquer la rupture du tendon.
Rotation interne contrariée à sous scapulaire
Rotation externe contrariée à sous épineux, petit rond
Flexion du coude contrariée à biceps, brachial antérieur, long suppinateur
Extension coude contrariée à triceps
Lexamen neurologique attentif recherchera le déficit moteur ou la douleur à leffort.
2. Au terme de cet examen clinique de débrouillage, le clinicien peut completer son examen par un bilan radiologique minimum...
qui comprend un clicher de face en rotation neutre, interne et externe. Dans le cadre dun examen clinique général, lanalyse sémeiologique dune douleur de lépaule permet dans 90% des cas, détablir immédiatement le diagnostic étiologique que lon présente en fonction des données de lexamen de lépaule. On distingue les épaules douloureuses à amplitude normale avec une mobilisation passive identique à lactive et les épaules douloureuses à amplitude diminuée.
III. Les épaules à amplitude normale ou subnormale passif = actif ±
A. avec signes isométriques cohérents
si intensité douloureuse faible ou modérée à tendinite
si intensité douloureuse forte et signes isométriques déficitaires à rupture de coiffe partielle.
La palpation de points spécifiques, la recherche dun accrochage sous acromial permettra détayer lun ou lautre diagnostic. On peut aussi saider de tests thérapeutiques : infiltration de 2-5 ml de xylocaïne qui supprime en cas de tendinite ou de rupture partielle la limitation douloureuse. En cas de doute on poussera les investigations (voir tableau de PSH).
B. avec signes isométriques indolores
1. Le conflit anterieur sous acromial de Neer au début:
Il sagit dune lésion tendineuse du sus épineux sous larche acromio-coracocoïdien responsable de crises douloureuses de lépaule de quelques jours aux mouvements dabduction vers 40-60°. La lésion peut évoluer vers la rupture de coiffe. Le bilan radio est normal au début mais saggrave avec lapparition dostéophytes sous acromial et la perte du ceintre gléno-huméral qui signe la rupture du tendon. Linfiltration de xylocaïne en sous acromial anterieur fait disparaitre la douleur à labduction.
2. rechercher une épaule instable
Le plus souvent ATCD de luxation. Sensation
de luxation imminente à la manoeuvre de larmé de bras.
Déclenchement dune douleur à la rétropulsion
horizontale.
Mobilité anormale de la tête de lhumérus mobilisée
davant en arrière
Omoplate bloquée (signe du piston)
C. avec signes isométriques inconhérents
Dans ces tableaux où les douleurs dépaules sont associées à une mobilité passive douloureuses alors que la mobilisation active et les manoeuvres isométriques sont négatives, on recherchera les lésions articulaires : sternoclaviculaire et acromioclaviculaire (arthrose et luxation) qui sont douloureuses en fin de mouvement. On se méfiera aussi de la tendinite du long biceps particulièrement trompeuse (palm-up test indolore mais douleur à la mise en tension du biceps).
IV. Les épaules dissociées actif/passif : passif normal, actif limité
Elles se rencontrent essentiellement dans les suites de tableaux aigus neurologiques ou traumatiques:
La paralysie du trapèze: (15-25° à lantepulsion)
La fracture de côte ou des dernières épineuses
La rupture aigue de coiffe
V. Les épaules limitées passif = actif = limité
si unilatérale : la chiffrer comparativement à épaule gelée > épaule arthrosique
si bilatérale : la chiffrer par rapport aux mesures damplitude connues à arthrose etc...
A ce stade, lorientation du diagnostic étiologique est déjà prise. Les examens complémentaires doivent :
assurer le diagnostic (radio simple, biologie inflammatoire)
confirmer à examens spécialisés (arthro, EMG, )
Au terme du bilan, on va différencier
lépaule douloureuse de la périarthrite scapulohumérale
lépaule douloureuse en dehors de la périarthrite scapulohumérale
A. Lépaule douloureuse de la périarthrite scapulohumérale
Elle représente à elle seule 80 % des motifs de consultation. Anatomiquement elle regroupe toutes les atteintes de la coiffe des rotateurs, que ce soit les simples tendinites, les ruptures partielles (voir paragraphe épaule douloureuse à mobilisation normale), les ruptures sévères ou les bursites sous acromiales calcifiées ou non. Il faut se rappeler que son diagnostic repose essentiellement sur un bon examen clinique où dominent les manoeuvres isométriques. Le recours à des examens complexes comme larthroscanner ne se justifie que dans le cas dun bilan dextention en vue dune intervention chirurgicale. La bonne compréhension de latteinte du défilé sous acromiocoracoïdien doit permettre ladaptation de traitements très souvent basés sur la massokinésithérapie. Les infiltrations ou les aspirations triturations de calcification seront réalisées par des experts sous amplificateur de brillance afin de ne pas être préjudiciables.
B. Lépaule douloureuse en dehors de la périarthrite scapulohumérale
On peut les classer artificiellement en causes locales (pathologie de larticulation glénohumérale) et causes à distance.
1. Les causes locales
Lépaule traumatique
La douleur fait suite à un traumatisme direct ou indirect de lépaule et le sujet peut se présenter en attitude du traumatisé du membre supérieur et se plaindre de manifestations plus tolérables.
Lexamen clinique sera toujours complété dun bilan radiologique. On distingue alors très schématiquement :
- Les fractures
de lextrémité supérieure de lhumérus surviennent chez ladulte ou la personne âgée, intéressent le col chirurgical ou anatomique. Limpotence fonctionnelle totale, lempâtement ou la déformation du moignon (coup de hache), lhématome brachio-thoracique dHenrique, le raccourcissement feront facilement suspecter le diagnostic. On cherchera à éliminer une complication vasculonerveuse avant de proposer un traitement qui reste le plus souvent orthopédique.
de la clavicule : cest une des fractures les plus fréquentes (15 % de la totalité). On les décrit en 1/3 moyen, 1/3 externe et 1/3 interne. Les fractures du 1/3 externe peuvent donner le change avec la luxation acromioclaviculaire. Traitement orthopédique dans 95 % des cas.
de lomoplate : à linverse, elles sont exceptionnelles (moins de 1 % des fractures). On oppose la fracture de la glène aux autres modalités. Les fractures de la glène peuvent sassocier aux luxations et sont souvent très difficile à voir (recour au scanner)
- Les luxations
Les luxations de la glènohumérale sont dominées par la luxation antéro interne dont le tableau clinique est bien connu. Il faut savoir éliminer une fracture du trochiter et surtout bien les connaitre eu égard aux signes dévolution vers lépaule instable. Les autres luxations sont beaucoup plus rares. La luxation postérieure est trompeuse car les reliefs musculaires dorsaux empêchent la palpation correcte. Elles peuvent passer inaperçues surtout pour celles qui entrent dans le cadre des subluxations.
Les luxations acromioclaviculaires réalisent une IFP douloureuse avec une instabilité de haut en bas (signe de la touche de piano). Tous les degrés existent et le traitement peut aller de la technique orthopédique (entorse acromioclaviculaire) jusquà la chirurgie.
L'épaule infectieuse
Les arthrites à pyogène
La localisation scapulaire est le plus souvent iatrogène (6O à 70 % des cas). Elle aboutit rapidement à une IFT avec altération de létat général.
La ponction articulaire est le geste essentiel dans 80 % des cas et elle assure le diagnostic. Le staphylocoque est responsable dans 6O % des cas. Le traitement antibiotique contrôlé en efficacité et tolérance doit être poursuivi au moins 3 semaines par voie parentérale et 6 mois par voie entérale. Bien entendu la mise au repos du membre supérieur est la règle.
Les arthrites tuberculeuses.
Il sagit dune ostéoarthrite. Le tableau clinique réalisé est celui dune scapulalgie trainante sur terrain débilité ou après infiltration mais qui étonne par éventuellement
une amyotrophie remarquable
des adénopathies axillaires
un terrain tuberculeux
Laspect radiologique associant dimportants defects articulaires à des géodes osseuses
La ponction et éventuellement la biopsie synoviale sont les éléments majeurs du diagnostic.
Lépaule inflammatoire
Latteinte de lépaule est courante en rhumatologie inflammatoire.
Dans la PR, les spondylarthropathies séronégatives : elle sinscrit dns un contexte dextension du rhumatisme. Parfois elle peut être inaugurale et posera des problèmes diagnostiques. A terme le pincement articulaire diffus, lérosion des rebords de la tête et du trochiter, lostéoporose ponctuée enlèveront finalement la certitude.
Dans les rhumatismes métaboliques, seule la chondrocalcinose articulaire est à citer. Elle peut présenter des poussées évolutives et certains auteurs la tiennent responsables darthrose rapidement destructrice de lépaule.
Lépaule dégénérative
Larthrose de lépaule est une des localisations les plus rares, 1 à 2 % du total. Elle na aucun caractère clinique particulier, encore quelle puisse en imposer pour une PSH à son début. Le bilan radiologique permettra de redresser le diagnostic : pincement global, ostéosclérose, ostéphytose marginale donnant un aspect en tête déléphant avec trompe inférieure à lévolution ( tête + ostéophytose inférieure en goutte). Le traitement est identique.
Lostéochondromatose : cest la 3e localisation de cette arthropathie. Elle est le plus souvent asymptomatique et ne nécessite dun traitement médical.
Lépaule de la maladie hyperostosante : lhyperostose peut toucher aussi lépaule et être responsable de raideur et de douleur. Sur les clichés de face, un " acromion barbu ", une enthésopathie trochitérienne, un épaississement de la coulisse bicipitale sont pathognomoniques.
Lépaule sénile : son tableau clinique (douleur, raideur) est laboutissement de PSH vieillie et non traitée. Sur le plan radiologique, on assiste à une ostéosclérose de la facette sous acromiale en regard de la tête de lhumérus ascensionnée. Ce sont ces entités qui développent létat dhémorragie à répétition.
Lépaule neurotrophique.
Le tableau clinique est celui dune épaule douloureuse progressivement impotente par une limitation de tous les mouvements de larticulation. Celle-ci peut sintégrer dans un tableau clinique plus complet et réaliser le syndrome épaule-main qui associe à des douleurs irradiées, des troubles vasomoteurs. On retrouve dans les ATCD, un traumatisme modéré, la prise danticonvulsivants ou la survenue récente dun infarctus myocardique ou dune chirurgie thoracique. Le diagnostic est assuré par la scintigraphie ou lIRM. Son évolution est longue, 6 mois à 2 ans mais se caratérise classiquement par une restitution ad intégrum.
Lostéonécrose de la tête humérale : cest une localisation peu fréquente. Elle est souvent associée à lONA de hanche et plus rarement bilatérale. Elle présente les mêmes étiologies. Elle réalise au début un tableau de PSH assez facilement contrôlable. Son évolution vers larthrose est lente.
Les arthropathies diverses : de nombreuses causes rares peuvent être rendues reponsables datteinte de larticulation
les tumeurs synoviales
la syringomyélie
lhémophilie etc...
dorigine cervicale
1O-15% des NCB saccompagnent de douleurs scapulaires. Mais lexamen passif et actif est normal alors que la mise en tension des nerfs cervicaux accentue la symptomatologie. Attention à la tendinite du long biceps de voisinage
La paralysie du sus scapulaire est la plus fréquente. Elle est généralement la conséquence de microtraumatismes répétés, soit directs, soit par le jeu de surfonctionnement de lépaule. Il associe des douleurs du moignon de lépaule irradiées à la face externe et postérieure, apparues progressivement. Lamyotrophie nest pas toujours évidente et on recherchera les déficits moteurs de labduction et de la rotation externe. Enfin un signe de Tinel déclenché à labduction dans la fosse sus épineuse est dune très grande valeur. LEMG confirme latteinte.
Latteinte du grand dentelé : exceptionnelle, elle est consécutive à un traumatisme du nerf sur la K2. Elle aboutit à une période algique brève, suivie dun déficit plus ou moins important de la stabilisation de lépaule lors des mouvements dantepulsion et dadduction. Le bord spinal de lomoplate pointe en ailerons.
Latteinte du nerf circonflexe : a côté de son cisaillement ou étirement traumatique, il a été décrit récemment un syndrome canalaire : la compression du quadrilatère de Velpeau. Il associe une douleur profonde de lépaule, mal localisée, avec paresthésie éventuelle dans le bras. Lantepulsion, labduction et la rotation externe aggravent ces signes, tandis que la palpation postérieure de lépaule met en évidence un point douloureux électif. Le diagnostic peut être confirmé par lEMG et lartério circonflexe comprimé aux manoeuvres dabduction. Le traitement est le plus souvent chirurgical.
Le Pancoast Tobias : la tumeur de lapex à son début peut être responsable de douleurs scapulaires. La présence dun signe de CL BH, le bilan radiologique redressera le diagnostic.
Les arthrites sternoclaviculaires : plus que les origines infectieuses, lintérêt actuel est orienté vers les hyperostoses sternoclaviculaires.
Dorigine neurologique, cest le problème de lépaule de lhémiplégique, du parkinsonien, de lépileptique, du syndrome de Parsonage Turner...
Dorigine thoracique et abdominale : par lintermédiaire du phrénique (C3-C4-C5)
la nécrose myocardique
le pneumothorax
la lithiase vésiculaire
la pancréatite
Au terme de ce catalogue, on ne saurait trop insister sur limportance dun examen clinique bien conduit, qui à lui seul permet dapporter un diagnostic étiologique sûr dans plus de 80 % des cas.