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RÔLE ANTIADHÉRENT DU MUCUS INTESTINAL : MÉCANISMES ET PHYSIOPATHOLOGIE

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La surface de l'épithélium du tractus gastro-intestinal des mammifères est revêtue d'une couche protectrice de mucus. Cette barrière de mucus produite par des cellules épithéliales spécialisées est continue. Elle constitue une barrière physique entre le tissu sous-jacent et les micro-organismes, les toxines qu'ils pro-duisent et les autres substances potentiellement nocives présentes dans la lumière intestinale. Dans l'intestin normal, l'érosion de la couche de mucus du côté de la lumière est due à l'action d'enzymes et au frottement des matières en cours de digestion; cette érosion doit être compensée par des sécrétions en provenance de la muqueuse pour garantir l'intégrité de la barrière.


MUCUS: BARRIÈRE PHYSIQUE

Il existe deux formes de mucus: un gel insoluble dans l'eau (30-450 µm d'épaisseur) adhérant à la muqueuse et une couche visqueuse hydrosoluble qui recouvre le gel.

Le principal composant du mucus, responsable de ses propriétés visco-élastiques et gélifiantes est la mucine. Les différentes mucines rencontrées chez les mammifères ont un certain nombre de caractéristiques communes:

- Il s'agit de polymères de grande taille, composés de monomères de glycoprotéines hautement glyco-sylées : chaque monomère peut avoir une masse moléculaire > 10 ^6 daltons; il est formé d'un noyau central peptidique entouré d'une série d'oligosaccharides disposés en forme d'écouvillon.

- Les chaînes latérales glucidiques représentent classiquement 80-85% du poids de la mucine. Elles sont constituées de galactose, de fucose, de N-acétylgalactosamine, de N-acétylglucosamine et d'acide sialique; elles peuvent avoir de 2 à 20 sucres.

- La région glycosylée du noyau peptidique contient de nombreuses répétitions de séquences appariées (chaque séquence étant composée de 6 à 169 acides aminés, en fonction du type de mucine) contenant une quantité importante de sérine et de thréonine auxquelles sont attachés les oligosaccharides.

- Les régions non-glycosylées ou peu glycosylées du noyau peptidique, riches en acides aspartique et glutamique, contiennent beaucoup de cystéine et possèdent des zones hydrophobes.

La rareté des chaînes glucidiques dans ces régions (par contraste avec les régions hautement glycosylées) les rend sensibles aux protéases bactériennes et endogènes.


La polymérisation des monomères de mucine se fait via des liaisons covalentes (disulfures) et via des liaisons non-covalentes (hydrophobes) entre les zones peptidiques non-glycosylées; elle contribue à former un gel à des concentrations de 10-50 mg/ml par l'enchevêtrement ou l'interdigitation des molécules de mucine fortement hydratées.

La structure polymérique de la mucine est capitale pour la formation du gel puisque la protéolyse des peptides de mucine non-glycosylée ou la rupture chimique des ponts disulfures libère des monomères de glycoprotéines qui ne gélifient pas dans des conditions physiologiques normales.


MUCUS: INHIBITEUR D'ADHÉSION

Le mucus ne constitue pas seulement une barrière physique face aux organismes présents dans la lumière intestinale, c'est aussi un inhibiteur compétitif de leur adhésion aux cellules épithéliales. Par exemple, la liaison d'une série de pathogènes comme Yersinia enterocolitica, Escherichia coli RDEC-1 (modèle de diarrhée chez le lapin) et Entamoeba histolytica, à des isolats de villosités intestinales et coliques ou de cellules épithéliales peut être fortement inhibée par le mucus brut ou par de la mucine hautement purifiée. On a également montré que la mucine se liait au rotavirus et à la toxine cholérique, réduisant ainsi leur adhésion et leurs effets sur les cellules-cibles. Des études portant sur Y. enterocolitica ont montré que le mucus brut était un meilleur inhibiteur de l'adhésion bactérienne que la mucine purifiée, ce qui suggère que d'autres composants (peut-être des membranes de cellules desquamées) de la couche de mucus pourraient jouer un rôle dans la prévention de l'adhé-rence bactérienne à la surface de l'épithélium.


PHYSIOPATHOLOGIE
La nature spécifique des interactions entre les bactéries et le mucus ou la mucine reste encore mal connue. De nombreuses bactéries (par exemple, E. coli, Bordetella pertussis, Helicobacter pylori, Pseudomonas aeruginosa et Y. enterocolitica) peuvent contenir un certain nombre d'adhésines (on en a décrit jusqu'à 9 pour E. coli). Les protéines adhésives peuvent être fimbriales ou non-fimbriales (hémagglutinines, protéines de la membrane externe, toxines); elles reconnaissent souvent les glucides sur les cellules-cibles bien qu'il puisse parfois y avoir des interactions avec les protéines. La capacité de la mucine à inhiber l'adhésion d'un organisme à des cellules épithéliales peut être due à des similitudes entre son site de liaison naturel et les glucides de la mucine. Par exemple, le pathogène RDEC-1 du lapin se lie à un composant sialoglycoprotéique des membranes microvillositaires de l'intestin. Il peut exister des structures glucidiques similaires au niveau du récepteur glycoprotéique de la membrane et au niveau de la mucine. Suite à de nombreuses études d'inhibition de l'haptène - montrant la sensibilité des liaisons bactériennes à la peroxydation et/ou leur résistance à la protéolyse - on pense qu'une série d'organismes interagissent avec les glucides de la mucine, y compris certaines espèces de staphylocoques et de streptocoques, Y. enterocolitica, Ps. aeruginosa, Ps. cepacia, certaines souches d'E. coli et E. histolytica. Bien que le mannose ne représente qu'une petite proportion (< 1 %) des sucres présents dans la mucine, il est responsable de la majorité des liaisons d'E. coli entérohémorragique (sérotype O157:H7, souche CL-49) à la mucine de l'intestin grêle du rat. Des études récentes ont montré que Y. enterocolitica pouvait se lier à de la mucine purifiée en provenance de l'intestin grêle du rat via des interactions avec le galactose et la N-acétylgalactosamine dans les régions internes des chaînes glucidiques de la mucine, proches du noyau peptidique. De même, Ps. cepacia semble se lier à la N-acétylgalactosamine et à la N-acétylglucosamine dans la région centrale des oligosaccharides de la mucine en provenance d'intestin grêle humain. Dans le cas de Y. enterocolitica, on a remarqué que l'adhésion bactérienne à la mucine intestinale dépendait de l'expression du plasmide de virulence de l'organisme (la capacité de liaison d'une souche isogénique à noyau plasmide était en effet nettement réduite), ce qui suggère que les interactions avec les sucres de la mucine peuvent jouer un rôle au niveau de la virulence.

On a supposé que les interactions hydrophobes jouaient un rôle dans la liaison de certaines bactéries - certaines souches d'E. coli (CL-49 et RDEC-1) et Ps. aeruginosa - à la mucine . Des études portant sur différentes mucines ont montré que les régions non-glycosylées du noyau protéique contenaient des zones hydrophobes capables de liaisons non- covalentes avec les lipides. On a montré que l'élimination de ces lipides de la mucine de l'intestin grêle augmentait l'adhésion de pathogènes virulents comme Y. enterocolitica, Ps. cepacia et E. coli (CL-49), ce qui suggère que ces lipides protègeraient certains récepteurs potentiels aux bactéries sur la molécule de mucine; récepteurs qui peuvent, dans certaines circonstances, être exposés. Dans le même ordre d'idées, la capacité de H. pylori à réduire le caractère hydrophobe de la muqueuse gastrique en dégradant les phospholipides présents dans la couche de mucus peut favoriser les interactions bactériennes avec la mucine.

La dépolymérisation (par destruction des ponts disulfures) et la dénaturation de la mucine de l'intestin grêle augmentent également l'adhésion de Y. enterocolitica, Ps. cepacia et E. coli CL-49 de manière significative. Il est probable que ceci soit dû à l'apparition de nouveaux sites de liaison aux bactéries qui sont normalement enfouis dans la molécule de mucine originale (peut-être la partie de la protéine la plus susceptible d'être affectée par ces traitements) mais qui sont exposés suite à des modifications structurelles. Ces récepteurs supplémentaires peuvent servir à stabiliser les interactions entre les bactéries et les autres régions de la molécule de mucine comme cela a été proposé pour E. coli CL-49. Ils peuvent aussi jouer un rôle protecteur au niveau de la lumière intestinale. L'érosion de la couche de mucus par le processus de digestion peut entraîner la libération de mucine partiellement dégradée et/ou dénaturée dans le contenu intraluminal, où elle peut se lier à d'autres adhésines bactériennes et empêcher leur adhérence au gel muqueux et à la surface épithéliale, renforçant ainsi la protection de la muqueuse.

La capacité du mucus intestinal et de la mucine à inhiber l'adhésion microbienne à la membrane cellulaire peut aussi découler de modifications des propriétés de surface d'un micro-organisme, provoquées par le mucus ou la mucine qui s'y seraient liés. Par exemple, l'expression de protéines encodées par le plasmide de virulence de Y. enterocolitica rend le micro-organisme plus hydrophobe et augmente sa capacité de liaison à une matrice hydrophobe comme le polystyrène. La pré-incubation de mucus intestinal brut ou de mucine purifiée rend les bactéries plus hydrophiles et réduit de manière significative leur liaison au polystyrène, ce qui suggère que le mucus et la mucine peuvent masquer les adhésines hydrophobes à la surface des bactéries. Puisqu'on a postulé que Y. enterocolitica adhérait à la membrane des cellules intestinales grâce à des interactions hydrophobes, il est possible que le mucus et la mucine protègent l'hôte en se déposant à la surface des bactéries et réduisent son caractère hydrophobe, empêchant leur fixation sur les cellules épithéliales.

Lorsqu'on interprète les données des études portant sur les interactions mucus-bactéries, il faut se souvenir d'un point important : le mucus brut est une sécrétion complexe, qui contient, non seulement de la mucine gélifiante mais aussi des cellules desquamées, des débris cellulaires, des lipides, de l'ADN et des protéines emprisonnées dans le gel. La liaison des bactéries à la mucine qu'il contient (comme on l'a montré pour Y. enterocolitica) peut ne représenter qu'une partie (35-45%) de la liaison totale au mucus brut. On a montré que le mucus contenait des récepteurs bactériens non-muciniques lorsqu'on a pu isoler un récepteur glycolipidique spécifique des fimbriae d' E. coli K88 dans le mucus brut prélevé dans l'iléon de porc. Les micro-organismes peuvent interagir avec toute une série de composants du mucus (peut-être via des mécanismes différents) et la capacité de liaison totale peut représenter la somme de plusieurs mécanismes de liaison. Le même principe s'applique à des préparations de mucine semi-purifiée lorsque des contaminants mineurs sont liés par les bactéries, ce qui peut parfois donner l'impression -erronée- que le micro-organisme interagit avec la mucine. Il faut dès lors être très prudent lorsqu'on interprète les observations expérimentales faites dans le cadre d'études de la capacité de liaison dans lesquelles on a utilisé du mucus brut; si l'on souhaite des informations spécifiques concernant les interactions mucine-bactéries, on devrait s'assurer de la pureté de la mucine utilisée dans l'étude.

La production de mucine augmente en réponse à de nombreuses infections entériques, particulièrement celles impliquant des pathogènes toxigènes et/ou invasifs comme S. flexneri, S. typhi murium, V. cholerae, E. histolytica, E. coli et Y. enterocolitica. L'augmentation de la production de mucine peut aussi être provoquée par une prolifération de bactéries commensales dans le syndrome de l'intestin grêle contaminé. Bien que les mécanismes médiant l'hypersécrétion de mucine ne soient pas encore bien connus, elle est, en tant que réponse de l'hôte, probablement destinée à repousser les micro-organismes et les toxines loin de la muqueuse et à les expulser du tractus intestinal.

Bien que le mucus soit produit par l'hôte pour protéger la surface de l' épithélium gastro-intestinal, il peut aussi favoriser la colonisation par des micro-organismes commensaux ou pathogènes en fonctionnant comme source de nutriments et comme matrice dans laquelle ils peuvent proliférer. La microflore abondante dans l'intestin des mammifères, particulièrement au niveau du côlon, semble être principalement concentrée dans la couche de mucus. Il peut y avoir accumulation dans le gel lorsque la vitesse à laquelle les organismes se multiplient dépasse la vitesse à laquelle ils sont expulsés via le turnover et l'érosion de la couche de mucus. Le mucus intestinal brut comme la mucine purifiée peut favoriser la prolifération de nombreuses espèces de bactéries, y compris certaines bactéries non virulentes comme E. coli, Salmonella typhimurium, Clostridium perfringens, Bactéroïdes species, Ruminococcus torques et Bifidobacterium bifidum et des souches virulentes de Y. enterocolitica et Shigella flexneri. Certaines d'entre elles, qui sont des commensales du tractus gastro-intestinal (C. perfringens, B. fragilis, R. torques et B. bifidum), sont connues pour dégrader la mucine en produisant des glycosidases extracellulaires spécifiques qui éliminent de façon séquentielle les unités de sucres (galactose, N-acétylgalactosamine, acide sialique) des chaînes oligosaccharidiques. Cela peut libérer des monosaccharides, apportant des nutriments dans l'écosystème du côlon mais cela peut aussi modifier la structure et la fonction de la mucine tant dans la lumière intestinale que dans la couche de mucus, entraînant la destruction des sites de liaison de certains micro-organismes ou toxines ou, inversement, révélant des récepteurs normalement enfouis dans la molécule de mucine.

On a décrit des modifications de la composition de la mucine, particulièrement au niveau de ses constituants glucidiques et de sa charge totale, au cours du développement postnatal, en réponse à des changements de régime alimentaire et dans le cadre de nombreuses affections gastro-intestinales (ulcère duodénal, maladie de Crohn, colite ulcéreuse, fibrose kystique, carcinome, infections parasitaires ou bactériennes). On a récemment démontré que la mucine purifiée en provenance du côlon de rats souffrant de colite inflammatoire induite chimiquement, inhibait moins efficacement la liaison de RDEC-1 in vitro par rapport à la mucine provenant d'un côlon non inflammatoire. Ces observations suggèrent que les modifications de composition de la mucine au cours de la maladie peuvent altérer ses propriétés et permettre aux micro-organismes présents dans l'intestin de se fixer sur ou d'envahir la muqueuse, contribuant ainsi à la chronicité de la maladie. De la même façon, les modifications de la composition de la mucine et la diminution de sa synthèse et de sa sécrétion, dues au vieillissement ou au régime alimentaire, peuvent compromettre l'efficacité de la barrière muqueuse et affecter la capacité de l'intestin à se défendre contre les infections microbiennes.


CONCLUSION

Ce bref aperçu montre clairement que :

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