LES GLOBULES ROUGES

 

Encore appelé hématie , érythrocyte ou normocyte (officiellement !), le globule rouge est une cellule très simplifiée , disque biconcave , anucléée chez l’homme et les mammifères , douée d’une grande déformabilité qui lui permet de se glisser dans des capillaires à diamètre bien inférieur au sien , et quasi saturée en hémoglobine . Tout celà est éminement favorable au transport de l’oxygène des poumons aux tissus mais cette spécialisation suppose : une brève survie cellulaire (120 jours), une orientation du métabolisme pour protéger le pigment respiratoire .

 

A - ETUDE MORPHOLOGIQUE

1 - Le globule rouge normal

a. à l’état frais , examiné en contraste de phase , apparaît comme un disque biconcave , forme qui lui confère un maximum de surface et permet un maximum d’échanges de membrane ; les globules ont tendance à se disposer en rouleaux , en piles d’assiettes , ce qui s’accentue parfois , par exemple dans les dysglobulinémies .

b. Le frottis de sang frais ou prélevé sur complexon , outil de travail quotidien des laboratoires , laisse leur aspect discocytaire aux globules rouges , qui ont une coloration spontanément jaunâtre dûe à l’hémoglobine , mais la coloration panoptique usuelle (MGG ou Wright) les teinte en rosé (acidophilie de l’hémoglobine) avec un centre plus clair du fait de leur forme biconcave ; on ne voit aucune formation intracellulaire , ni en microscopie électronique non plus d’ailleurs .

La mesure des diamètres , possible mais fastidieuse au micromètre , permettait la réalisation de courbes de populations dites de Price Jones en fonction de ces diamètres , autour d’une médiane normale à 7,2 µ , mais parfois déviée à gauche dans les microcytoses ou à droite dans les macrocytoses , voire bimodale (à deux pics) en cas de double population (dysérythropoïèse , transfusion...).

Les automates modernes réalisent des courbes similaires en fonction des volumes .

c. La coloration vitale au bleu de crésyl brillant montre que certains globules rouges renferment une substance dite " granulo-filamenteuse ,

ce sont les réticulocytes , ou pro-normocytes , dont on a parlé au cours de l’étude de l’érythropoïèse : ce sont des globules rouges jeunes de moins de 24 heures , renfermant encore des ribosomes et des mitochondries , capables de quelques mouvements et de synthèse d’hémoglobine , un peu plus gros que les globules rouges achevés et repérables sur les courbes de répartition des volumes des automates ; on ne reviendra pas sur l’intérêt séméïologique très grand de leur décompte en valeur absolue pour opposer anémies régénératives et non régénératives.

2 - Variations morphologiques

a. Globules rouges à inclusions érythrocytaires

- visibles en coloration panoptique de routine : corps de Jolly , restes de chromosomes extranucléaires , anneau de Cabot , restes de fuseau mitotique , granulations basophiles des " hématies ponctuées " lors du saturnisme par exemple ,

- visibles en coloration vitale : à côté des réticulocytes , corps de Heinz , précipités d’hémoglobine anormale ;

- visibles en coloration de Perls , colorant le fer , grains bleu de Prusse d’hémosidérine dans les " sidérocytes ".

b. Anomalies de coloration , visibles en coloration panoptique : hématies polychromatophiles en cas d’hyperérythropoïèse , globules rouges hypochromes , trop peu chargés en hémoglobine , avec HCM basse , globules rouges hypercolorés , voire hyperchargés en hémoglobine dans les sphérocytoses .

c. Anomalies de forme : ovalo- ou ellipto-cytes , sphéro-cytes , drépano-cytes , en faucille , par précipitation d’hémoglobine S , hématies crénelées ou acantho-cytes , schizo-cytes , fragments d’hématies lors de traumatisme intravasculaire , qui peuvent évoluer en micro-sphéro-cytes ; (la poïkilo-cytose correspond à une hétérogénéité des formes).

d. Anomalies de taille : micro-cytes , souvent hypochromes , avec courbe des volumes déviée à gauche. macro-cytes , à l’opposé ; (l’aniso-cytose correspond à une hétérogénéité des tailles avec courbe des volumes étalée ou pluri-modale ; l’aniso-poïkilo-cytose est fréquente).

e. Remarque très importante : toutes ces anomalies , inclusions , coloration , taille , forme , sont reconnues à la simple observation des frottis et si les données érythrocytométriques sont pathologiques , on doit , après avoir regardé soigneusement les courbes de volumes , contrôler les données sur lame .

 

B - ERYTHROCYTOMETRIE

C’est en termes courants la " numération des rouges " examen global d’une population présumée homogène .

1 - Les mesures traditionnelles

a. L’hématocrite (PCV en anglais), volume occupé par les hématies par rapport au volume sanguin total , peut être mesuré très simplement par centrifugation , du sang veineux recuilli sur EDTA (ou complexon) ou du sang capillaire recueilli au doigt , au lobe de l’oreille , au talon chez le nourisson .

Les normales de l’adulte :

b. Le dosage de l’hémoglobine (Hb en français et en anglais) essentiellement intra-érythrocytaire , utilise la méthode à la cyan-mét-hémoglobine , incorporée dans les automates , ou une méthode voisine ne faisant pas usage de toxique , avec mesure au photomètre ;

les normales de l’adulte :

Ce paramètre est essentiel : l’hémoglobine est le seul facteur " intéressant " des globules rouges dont peu importe le nombre , ce sont de simples vecteurs , et l’on affirmera une anémie si l’hémoglobine est basse quel que soit letaux des globules rouges , et inversement pour une polyglobulie .

c. Le taux des globules rouges (RBC en anglais) est actuellement mesuré sur les automates par comptage électronique de particules ;

les normales de l’adulte :

d. Remarques :

- les différences entre les sexes sont liées à l’imprégnation androgénique et apparaissent à la puberté ;

- ces trois mesures expriment une dilution ou une concentration : elles sont à prendre en considération en l’absence de variation du volume sanguin total et l’on se méfiera de l’hémodilution des oedèmes ou en cas de grossesse , de l’hémoconcentration chez un grand brûlé ; une hémorragie aiguë avec chute parallèle des volumes plasmatique et globulaire ne les modifie pas (mais modifie pouls et tension artérielle).

- Certains souhaitent exprimer hématocrite , hémoglobine et taux de GR par litre : 0,45 , 160 g ou 5.1012 ce qui n’apporte guère que de la confusion !

2 - Les constantes calculées (constantes de Wintrobe)

a. L’hémoglobine corpusculaire moyenne (HCM) (en anglais , MCH) ou Taux Globulaire Moyen d’Hémoglobine (TGMH) est le rapport de l’hémoglobine au nombre de globules rouges ; la normale est de 25 à 32 pg ; c’est le poids moyen d’hémoglobine par globule rouge , excellent mode d’expression d’une hypochromie (HCM basse) ou d’une macrocytose (HCM élevée).

b. Le volume globulaire moyen (en français VGM , en anglais MCV) est le rapport de l’hématocrite au nombre de globules rouges ; la normale est de 85 +/- 5 fl ; beaucoup d’automates le mesurent directement , particule à particule , en faisant la moyenne , puis , calculent l’hématocrite , qui est plus exact car on ne compte pas le plasma compris entre les globules centrifugés ; il exprime naturellement : micro-cytose , macro-cytose .

c. La Concentration Corpusculaire Hémoglobinique Moyenne (CCHM) (en anglais , MCHC) est le rapport du taux d’hémoglobine à l’hématocrite ; la normale est de 32 à 36 % ; elle est de peu d’intérêt et sert surtout à voir si le compteur est bien règlé !

d. Remarques :

- la valeur globulaire est à rejeter absolument ;

- une fois affirmée une anémie sur le taux d’hémoglobine abaissé , ces constantes de Wintrobe vont constituer la clé de la démarche diagnostique étiologique , puis , de la thérapeutique .

(schémas n° 33 et 34)

3 - Variations physiologiques

a. Le sexe explique les différences de taux d’hémoglobine , d’hématocrite et de taux de globules rouges , mais les constantes de Wintrobe sont les mêmes dans les deux sexes .

b. L’âge :

- le nouveau-né , durant la première semaine , a une polyglobulie un peu supérieure à 5 000 000 de globules rouges et une légère macrocytose ;

- le nourrisson s’il est soumis à un régime sans viande , donc sans fer (farines lactées seules), peut avoir une anémie hypochrome microcytaire , mais les erreurs diététiques ne font pas partie de la physiologie !

- jusqu’à la puberté , il n’y a pas de différence entre les deux sexes , avec des taux féminins , puisqu’il n’y a pas d’imprégnation androgénique .

c. La grossesse s’accompagne d’une " pseudo-anémie " par dilution , car , si le volume des globules rouges augmente globalement , il augmente moins que celui du plasma et plus tardivement ; il peut exister cependant de vraies anémies de la grossesse .

(schémas n° 35 et 36)

d. La vie en altitude , l’exemple du plateau andin est célèbre , s’accompagne d’une polyglobulie liée à la rareté de l’oxygène .

 

C - STRUCTURE CHIMIQUE DU GLOBULE ROUGE

Le contenu de l’hématie est remarquable

1 - par sa faible teneur en eau :

60 % environ , contre 75 % dans l’hépatocyte par exemple ;

2 - sa forte teneur en hémoglobine qui est à quasi-saturation (CCHM = 34 %) , avec risque de précipitation en cas d’anomalies de l’hémoglobine (hémoglobines S ou C , hémoglobines instables), mais ceci permet le transport de l’oxygène dans les meilleures conditions ;

3 - sa forte pression oncotique , liée aux deux données précédentes , appelant l’eau vers le globule rouge , qui deviendrait une sphère et risquerait de se rompre (hémolyse) en l’absence d’actives pompes à Na+ et K+ refoulant sans cesse l’eau ;

4 - un équilibre entre ions Ca++ et Mg++ règlant la déformabilité cellulaire .

 

D - STRUCTURE ENZYMATIQUE ET METABOLISME

1 - Données générales :

- le globule rouge a perdu , et continue à perdre , enzymes et co-enzymes , de l’érythroblaste nucléé

- et , faute de noyau et autres organelles , il est incapable de synthèse protéique , donc de synthèse d’enzymes .

- Son métabolisme est 200 fois plus faible que celui de l’érythroblaste , plus faible que celui des plaquettes et , a fortiori , des leucocytes ,

- basé sur la seule glycolyse plasmatique , puisqu’il n’y a pas de glycogène intra-érythrocytaire (on doit apporter du glucose dans l’ACD ou le CPD au globule rouge conservé dans les banques de sang)

- et encore , cette glycolyse est-elle partielle , faute d’enzymes du cycle de Krebs dans le globule rouge .

2 - Glycolyse anaérobie

C’est la voie d’Embden-Meyerhof du gluco-6-phosphate au pyruvate et au lactate.

(schéma n°37)

a. Elle fournit au globule rouge 90 % de son énergie du fait de l’absence de glycolyse aérobie et de la faible importance énergétique des shunts , sous forme de deux molécules d’ATP régénérées à partir d’une molécule de glucose , énergie qui sert à :

b. Le NADH est régénéré par la même occasion à partir du NAD .

c. Un déficit de la glycolyse anaérobie , déficit en pyruvate-kinase par exemple , a diverses conséquences liées à la chute de l’ATP , notamment pénétration d’eau et hémolyse , ou liées à la chute de NADH .

3 - Shunt des pentoses-phosphates de Dickens-Horecker :

a. il est ouvert par la glucose-6-phosphate-déshydrogénase (G6PD) à 10 % du gluco-6-phopsphate , donc à 10 % du glucose ;

b. il sert surtout à régénérer NADPH à partir de NADP ;

c. or NADPH et NADP interviennent dans la lutte contre la méthémoglobinisation l’oxygène tend en permanence à oxyder l’hémoglobine à Fe++ en mét-hémoglobine à Fe+++ impropre à transporter l’oxygène ; la diaphorase à NADH assure l’esssentiel de la réduction inverse , tandis que la glutathion-réductase à NADPH régénénère le glutathion réduit qui à son tour inhibe la méthémoglobinisation .

(schéma n° 38)

d. Un déficit du shunt des pentoses-phosphates , déficit en G6PD par exemple , a diverses conséquences :

chute du NADPH et augmentation de la méthémoglobine , chute consécutive du glutathion réduit servant aussi à la lutte contre les substances oxydantes contre lesquelles le globule rouge va mal se défendre .

4 - Le shunt de Rapoport-Luebering

a. se situe au niveau du 1 - 3 di-phosphoglycerate qui se transforme en 2 - 3 di-phosphoglycerate ((2-3 DPG) grâce à une mutase .

b. Le 2-3 DPG , abondant dans la cavité centrale de la molécule tétramérique d’hémoglobine , intervient dans le transport de l’oxygène .

 

E - LA MEMBRANE DU GLOBULE ROUGE

1 - Composition chimique :

- 44 % de lipides , dont 65 à 70 % de phospholipides et 25 % de cholestérol ;

- 50 % de protéines , classées par taille grâce à l’électrophorèse sur gel de polyacrylamide en présence de dodécyl sulfate de sodium (SDS) en particulier , dont l’agencement est connu comme leur place dans la membrane protéines du squelette membranaire , réseau de la face interne de la membrane (spectrine , actine , protéine 4-1 , ankyrine), protéines intrinsèques qui traversent de part en part la membrane (protéine 3 , glycophorine A , récepteur de la transferrine); des anomalies héréditaires de ces protéines retentissent sur la forme des globules rouges . Les protéines fonctionnelles correspondent aux enzymes membranaires .

- Les glucides membranaires sont liés aux protéines (93 %) et aux lipides , ce sont des oligosaccharides formé par 10 mono-saccharides (fucose et acide sialique surtout) à combinaisons multiples , situés dans le feuillet externe de la membrane et étudiés avec les groupes sanguins

2 - Modèle structural actuel (théorie de la mosaïque fluide de Singer et Nicholson)

(schémas n° 39 et 40)

a. Les phospho-glycéro-lipides ont une région hydrophile et une région hydrophobe et la membrane érythrocytaire est formé d’une double couche de phospho-glycéro-lipides avec un feuillet externe (phospholipides à choline) et un feuillet interne (phospholipides à sérine et éthanolamine) séparés par un espace virtuel responsable de la fluidité de cette membrane .

b. Les autres lipides

Les glyco-sphingo-lipides sont dans le feuillet externe avec leur partie glucidique en saillie à l’extérieur , le cholestérol est exclusivement dans les zones hydrophobes .

c. Les protéines sont intercalées entre les lipides :

incrustées dans le feuillet externe , incrustées dans le feuillet interne , incrustées dans les deux feuillets (protéines intrinsèques) , avec contact hydrophobe avec les lipides mais saillies internes , externes ou des deux côtés , hydrophiles .

d. Le squelette membranaire contiendrait un noyau de molécules d’actine , stabilisé par son association avec de la spectrine , de la protéine 4-1 et sans doute de la protéine 4-9 ; ce réseau , qui ressemble à un filet à la face cytoplasmique de la membrane , est lié à elle par l’ankyrine en particulier et il est responsable de la forme de la cellule .

3 - La surface de l’hématie est estimée à 130 µ2 , soit 3 800 m2 de surface pour la totalité des globules rouges , ce qui est très favorable à l’hématose ; elle est excédentaire et permet au globule rouge d’avoir une forme biconcave et non sphérique , seule compatible avec une bonne déformabilité .

4 - Proprietés de la membrane érythrocytaire

a. La déformabilité

- est une nécessité :

le globule rouge est un discocyte dans les gros vaisseaux , mais dans les capillaires à diamètre inférieur à celui des discocytes (cordons de Billeroth de la rate de 3 µ) il doit se déformer ; il y a fragmentation mécanique , puis destruction des hématies , en cas de perte de surface de la membrane ou précipités intraglobulaires .

capillaires pathologiques .

- Les moyens d’étude sont nombreux :

- Les facteurs de la déformabilité sont divers :

viscosité du contenu du globule rouge , forme de celui-ci (sphérocytes détruits lors du passage splénique), élasticité et résistance à la rupture de la membrane selon l’état de ses protéines , métabolisme globulaire qui retentit sur ce dernier (la déformabilité diminue avec l’âge de la cellule et sans doute l’épuisement de l’ATP), facteurs extraglobulaires : rhéologiques , contact avec d’autres cellules , hyperosmolarité .

- In vivo , lors de l’écoulement du sang , la membrane érythrocytaire se déplace comme la chenille d’un char d’assaut autour du contenu globulaire parce que celui-ci est liquide (sans inclusions) et parce qu’il existe un excès de surface par rapport au contenu (le sphérocyte est rigide); selon le calibre des vaisseaux , les hématies se disposent : en rouleaux dans les gros vaisseaux ,en torpédo si le courant est rapide , en parachute dans les capillaires , en sphères s’ils sont bloqués contre des leucocytes , agrégats de plaquettes ou lésions endothéliales ; les réticulocytes ont une diabase possible car ils ont perdu leur noyau et sont encore très fluides ; le vieillissement des hématies s’accompagne d’une baisse de la déformabilité et la captation est aussi plus facile par les macrophages du système réticulo-macrophagique

b. Les échanges trans-membranaires

- Les échanges de cations

. se font par un mécanisme actif des pompes à sodium rejettent le sodium pénétrant passivement et concentrent le potassium ; elles sont de plusieurs types ;.

. ce sont des ATPases qui consomment seulement 12 % de l’ATP produit par la glycolyse anaérobie et leur atteinte est rare .

- Les échanges d’anions (Cl- , phosphates et bicarbonates) correspondent à l’effet Hamburger ; on s’intéresse à eux car ils sont plus ou moins parallèles à ceux de nombreuses drogues .

- La pénétration des acides aminés et des sucres est moins bien connue .


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