CHAPITRE 9
Communication chimique


3. Modulateurs paracrine et autocrine

3.1. Généralités introductives

3.2. Les neurotransmetteurs

3.3. Les neuropeptides modulateurs

3.4. Les cytokinines

3.5. Les prostaglandines et autres eicosanoïdes

3.1. Généralités introductives

Alors que les hormones forment une classe de modulateurs endocrines relativement homogène en ce qu'elles ont des fonctions physiologiques pouvant être assez clairement définies, les modulateurs paracrines et autocrines paraissent intervenir dans une multitude d'interactions cellulaires qui, dans de nombreux cas, restent actuellement mal définies et peu comprises. Il n'est donc pas possible d'envisager à l'heure actuelle de "système" physiologique paracrine ou autocrine comme on considère classiquement un système physiologique endocrine. Il faut plutôt voir pour l'instant dans ces modulateurs une série de substances, sans relations de rôle ou de nature chimique, agissant essentiellement dans le cadre d'une communication cellulaire "rapprochée".

Par ailleurs, nombreux sont les modulateurs qui peuvent agir selon différentes modalités : endocrine, paracrine et/ou autocrine. Ainsi par exemple, le glucagon (cfr. 2.3.3) agit comme hormone pancréatique sur le métabolisme glucidique de différentes cellules–cibles ; il agit également comme modulateur paracrine, sur la production d'insuline par d'autres cellules pancréatiques. De même, la testostérone, produite par les cellules de Leydig des gonades mâles (cfr. 2.3.6.b) agira en mode paracrine sur les cellules de Sertoli et sur la maturation des cellules germinales et en mode endocrine sur l'évolution des caractères sexuels secondaires. L'interleukine-1 (voir plus loin, 3.4), d'abord connue pour son action paracrine sur les cellules immunocompétentes, paraît pouvoir agir, à la manière d'une hormone, sur différents tissus - cibles en induisant nombre d'effets différents. D'autres substances, comme les leucotriènes (voir plus loin 3.5), peuvent agir suivant des modalités paracrine ou autocrine ; ils pourraient également intervenir dans certains systèmes de signalisation intracellulaire. Il en va de même pour les prostaglandines qui semblent pouvoir agir comme modulateurs intra ou extracellulaires et, dans ce dernier cas, suivant les modes endocrine, paracrine ou autocrine.

Faire des catégories spécifiques des modulateurs paracrines ou autocrines relève donc plus de critères d'organisation académique d'une matière que de critères physiologiques. Il nous paraît dès lors plus favorable de considérer ces modulateurs dans le contexte de leurs effets physiologiques majeurs et de renvoyer le lecteur aux chapitres ou sections de chapitres concernés. Nous ne citerons ici, très brièvement, que les neurotransmetteurs et les neuropeptides modulateurs, les cytokinines et les prostaglandines. Ce choix arbitraire exclu évidemment toute une série de molécules dont les effets physiologiques sont loin d'être inintéressants. Ainsi par exemple les facteurs de croissance synthétisés par différents types cellulaires et qui paraissent nécessaires à la croissance tissulaire comme le nerve growth factor (NGF). Ainsi aussi différents facteurs vitaminiques, synthétisés par l'organisme et agissant suivant un mode paracrine ou endocrine, comme la vitamine D (section 2.3.1) ou encore les facteurs d'adhérence et de reconnaissance intervenant essentiellement au cours du développement embryonnaire et qui paraissent nécessaires à l'organisation en tissus de différents types cellulaires. Ainsi encore l'histamine dont le rôle vasodilatateur dans les réactions inflammatoires sera mieux intégré dans l'étude des mécanismes de défense des organismes ( chapitre 10).

3.2. Les neurotransmetteurs

Les neurotransmetteurs sont sans nul doute les modulateurs paracrines qui ont été les mieux étudiés jusqu’à ce jour. Ils interviennent essentiellement dans la transmission du signal nerveux (potentiel d'action) de cellule à cellule. Ils seront donc envisagés plus en détail dans ce cadre particulier (cfr. chapitre 8).

3.3. Les neuropeptides modulateurs

Les neuropeptides modulateurs entrent dans cette catégorie tous les composés peptidiques produits par des cellules nerveuses et exerçant des effets régulateurs sur l'activité d'autres cellules et de systèmes fonctionnels.

Nous y rangerons donc :
- les neuropeptides neuro-modulateurs qui vont intervenir dans la modulation de la transmission du signal nerveux. Ces substances sont considérées au chapitre 8 traitant du système nerveux.
- Les neuropeptides endocrino-modulateurs qui interviennent dans la régulation des productions hormonales. Il s'agit essentiellement des statines et des libérines produits par différents noyaux hypothalamiques et agissant sur la pituitaire (cfr. 2.2.1.d).

3.4. Les cytokinines

Les cytokinines sont avant tout des sémiomolécules du système immunitaire. Leur rôle dans ce cadre sera envisagé au chapitre 10 traitant des mécanismes de défense des organismes. Certaines d'entre elles ont cependant un très large spectre d'activités dont beaucoup sortent du cadre strict des relations immunitaires.

Dans la plupart des cas, les activités physiologiques majeures de ces molécules restent mal définies à l'heure actuelle ; nous nous limiterons donc à un exemple, celui de l'interleukine-1 (IL-1). Nous renvoyons le lecteur intéressé par plus de détails au traité sur les cytokinines dirigé par Cavaillon (1996).

IL-1 peut être produite par un grand nombre de types cellulaires. Mis à part les macrophages, source majeure de cette cytokine suite à stimulation du système immunitaire, elle peut être sécrétée notamment par les neurones sympathiques, les astrocytes, les cellules hépatiques, endothéliales, osseuses, synoviales, de Sertoli, de Leydig, folliculaires thyroïdiennes, musculaires lisses, etc.…

IL-1 agit essentiellement en mode paracrine sur des cellules voisines des cellules sécrétrices et produit des effets aussi variés qu'une augmentation du rythme cardiaque ou une production de CRF hypothalamique induisant la sécrétion de glucocorticoïdes. On note également des effets hypotenseurs, pyrogènes, somnogéniques ou de diminution d'appétit. Certains de ces effets peuvent vraisemblablement être mis en relation avec une réponse générale de l'organisme induite par IL-1 au cours de maladies infectieuses, maladies dans lesquelles elle intervient par ailleurs largement dans un cadrage immunologique (cfr. chapitre 10).

IL-1 paraît également intervenir, avec IL-G, dans le contrôle des fonctions ovariennes et testiculaires. Du coté ovarien, elle interviendrait ainsi en potentialisant les effets de la FSH sur la folliculogenèse et la prolifération de la granulosa. Elle semble par contre inhiber la fonction stéroïdogène des cellules de la thèque et de la granulosa. Elle contribuerait par ailleurs au processus d'ovulation et au remodelage tissulaire accompagnant la formation du tissu lutéal. Du côté testiculaire, IL-1 paraît intervenir dans le contrôle de la production de testostérone au niveau des cellules Leydig et dans celui de la spermiation au niveau des cellules de Sertoli. Tous ces effets restent cependant à préciser avant de pouvoir être intégrés de façon claire dans les mécanismes physiologiques de contrôle de la gamétogenèse.

L'interleukine-1 paraît encore impliquée dans le contrôle de la production de différentes prostaglandines ; elles-mêmes intervenant dans une régulation, essentiellement paracrine, de différentes activités (cfr. 3.5 ci-dessous).

3.5. Les prostaglandines et autres eicosanoïdes

Les prostaglandines font partie, avec les thromboxanes et les leucotriènes notamment, de la famille de eicosanoïdes, un groupe de médiateurs locaux issus d'acides gras polyinsaturés formés à partir des phospholipides membranaires.

L'ensemble des molécules du groupe présente une structure générale de base à 20 atomes de carbone, comprenant un noyau cyclopentane avec deux chaînes latérales lui donnant une forme en "épingle à cheveux". Les eicosanoïdes dérivent tous de trois précurseurs formés suite à attaque enzymatique des phospholipides membranaires par une phospholipase A2 ou C (figure 9-27). Il s'agit des acides dihomo-g -linolénique, arachidonique et eicosapentaénoïque. Suivant le type d'attaque enzymatique à laquelle ils sont soumis, ces précurseurs vont donner des prostaglandines (PG), des thromboxanes (TX), des leucotriènes (LT) ou des lipoxines (LX).

Figure 9-27 (15747 octets)

Figure 9-27 : Synthèse des eicosanoïdes.

Ces composés sont désignés par des lettres A, B, C, D… en fonction des positions au niveau desquels ont eu lieu des modifications de structure par rapport à leur précurseur et par des chiffres 1, 2, 3... en fonction du précurseur dont ils proviennent. Ainsi les prostaglandines D2, E2, et F2 (PG D2, E2, F2), les plus importantes semble-t-il, du moins par la variété des effets qu'elles induisent, dérivent de l'acide arachidonique (série 2) suite à l'action de différentes enzymes (oxygénase, peroxydase, isomérase), en différentes positions (figure 9-28). Il n'y a en général que très peu de différences d'une molécule à l'autre (un hydrogène, un hydroxyle, une double liaison...) ; leurs effets physiologiques sont cependant extrêmement variés.

 
Figure 9-28 (5661 octets)
 
 
Figure 9-28 : PG D2, E2, F2 et acide arachidonique.
 

Pour être complet, il y a lieu d'ajouter les époxydes résultant de l'oxygénation des précurseurs par des monooxygénases de type cytochrome P450 et les HETEs provenant de l'action de lipoxygénases notamment en C12 ou C15. Ces composés n'ont été que très peu étudiés jusqu'à présent.

L'essentiel des études concernant les effets physiologiques des eicosanoïdes ont été effectuées sur des mammifères chez lesquels l'acide arachidonique domine largement. Les effets décrits portent donc surtout sur les prostaglandines et thromboxanes de la série 2 ainsi que sur les leucotriènes de la série 4. Ils sont extrêmement variés (tableau 9-1) et il est à l'heure actuelle impossible d'en proposer un classement rationnel. Ils concernent notamment l'adhésion plaquettaire, la prolifération de certains types cellulaires, les réactions immunitaires et inflammatoires, la coagulation sanguine, la contraction et la relaxation de différents muscles lisses (vaisseaux, bronches, utérus, intestin), la gamétogenèse mâle et femelle, certaines réactions d'hypersensibilité (asthme). Les eicosanoïdes ont aussi des effets cérébraux (éveil, sommeil), pulmonaires, rénaux, tenso-régulateurs ou hormonaux (productions hypothalamique et hypophysaire). Ils peuvent également agir en synergie ou en opposition avec différentes cytokines et hormones.

TABLEAU 9-1
Effets de quelques eicosanoïdes

Effets Eicosanoïdes
Productions hypothalamique et
hypophysaire (ACTH, GHRH,...)
PGE1,2
Prolactine PGE1
LH PGE1,2 - PGF2
LHRH 12-HETE, LTC4
Bronchoconstriction PGF2, TXA2, LTC4, LTD4
Bronchodilatation PGE1,2
Motilité gastro-intestinale PGE2, PGF2
Agrégation plaquettaire TXA2
Contraction utérus PGE2, PGF2, TXA2
Hypertension TXA2, PGF2, LTC4, LTD4
Hypotension PGI2, PGE2, PGD4
Production de rénine PGE2, PGD2, PGI2
Inhibition lipolyse PGE2
Inhibition sécrétion gastrique PGE2
Augmentation filtration rénale PGH2
SRS-A (slow reacting substance of anaphylaxis) LTC4, LTD4, LTE4, LTF4

 
Les composés du groupe des eicosanoïdes ne sont généralement produits que suite à stimulation cellulaire. Leur biosynthèse de même que leur inactivation est en général très rapide. Le plus souvent, ils ne restent donc actifs que quelques minutes.

De nombreux stimuli paraissent induire la production de l'un ou l'autre voire de plusieurs composés bioactifs : infections, frottements, coups, blessures, brûlures, substances toxiques, allergies, radiations, changements de volume cellulaire, cytokines, hormones, changements de statut métabolique.

Les eicosanoïdes agissent principalement suivant le mode paracrine et peuvent être produits par de très nombreux types cellulaires. Les systèmes-cibles sont également très nombreux. On trouve en effet des récepteurs spécifiques sur de très nombreux tissus tels que muscles lisses (vasculaires, utérins, gastro-intestinaux, respiratoires), muqueuse gastrique, tissu adipeux, médullaire rénale, tissus nerveux central et périphérique, cellules du système immunitaire ou encore plaquettes sanguines.

Tout ceci fait des eicosanoïdes, un groupe de modulateurs paracrines dont les effets multiples, pouvant de surcroît se manifester dans de nombreuses conditions différentes, rendent l'étude difficile et parfois confuse. Les recherches les concernant n'en sont qu'à leurs débuts ; elles indiquent déjà clairement qu'ils constituent un groupe de médiateurs locaux d'importance.


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